FOURNÉES
’est ainsi qu’on appelait les accusés amenés devant le
tribunal révolutionnaire de tous les cantons de la République ;
surpris de se trouver réunis dans une même charrette
et dans une même affaire des Pyrénées-Orientales
au bord de l’Escaut, des rives du Rhin à celles de la
Gironde ; tous envoyés à l’échafaud, tous condamnés sans
être jugés, sans être entendus, plusieurs même sans être
accusés.
Lorsqu’on eut forgé les conspirations des prisons à dessein de tuer un plus grand nombre, on appela les victimes les cardinaux, parce qu’ils avaient la chemise rouge. On la vit sur le corps modeste et voluptueux de Charlotte Corday ; et c’est en souvenir de cette femme courageuse que plusieurs personnes de son sexe ont porté et portent encore un châle rouge.
La scène du monde a été ensanglantée à Arras, Marseille, Cambrai, Saumur, Lyon, Nantes, Orange, Bordeaux : aucune des victimes, dans aucun lieu que je sache n’a fait résistance ; toutes ont subi la mort avec une sorte de calme : l’impassibilité des spectateurs avait passé dans leurs âmes. Les bourreaux n’étaient point insultés. Jamais on ne vit dans le monde cette espèce de concordat entre les assassins et les assassinés… Ceux-ci semblaient dire : Vous ne m’ôterez point ma fermeté ; et les autres semblaient répondre : Bien d’autres passeront après vous.
Ainsi que les poètes nous peignent les simulacres de l’affreuse Gorgone paralysant les bras de ses regards, de même ces innombrables sacrifices humains, ces flots abondants du sang des citoyens, ne frappèrent que des âmes