Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/220

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ces plaisirs : partout des salles de danse. L’oisiveté ronge le Parisien, (fainéant de son naturel), l’oisiveté qui le tuera avec ses dix-neuf spectacles journaliers ; le règne de l’oisiveté, dis-je, est aussi continu dans la grande cité, que la basse fondamentale d’un orchestre d’opéra.

Après l’argent, la danse est aujourd’hui tout ce que le Parisien aime, chérit ou plutôt ce qu’il idolâtre.

Chaque classe a sa société dansante, et du petit au grand, c’est-à-dire, du riche au pauvre, tout danse ; c’est une fureur, un goût universel. Ils dansent, les Parisiens, ou pour mieux dire, ils tourbillonnent ; car rien de plus difficile pour eux qu’obéir à la mesure, et rien de plus rare parmi eux qu’une oreille musicale !

Sous le règne de la terreur, les Parisiens cois et tremblants et n’osant pas même alors faire un journal, ni arrêter une charrette, s’enfonçaient dans les spectacles ou dans les clubs, et ne dansaient que dans les fêtes publiques, et quelquefois autour des échafauds : tout à coup tous les murs se sont couverts d’affiches nombreuses en style presque académique, annonçant des bals de toutes couleurs, quelques-uns à si bon marché, que la servante peut y atteindre.

Pas une fillette qui ne trouve un galant pour la conduire à ces écoles de turbulence et de séduction. Un jeune homme refuse-t-il de les mener au bal, ou ne danse-t-il pas assez assidûment avec elles, elles l’éconduisent promptement et lui vouent une haine féminine, c’est-à-dire, déguisée.

On danse aux Carmes où l’on égorgeait ; on danse au Noviciat des Jésuites ; on danse au Couvent des Carmélites du Marais ; on danse au Séminaire Saint-Sulpice ; on danse aux Filles de Sainte-Marie ; on danse dans trois églises ruinées de ma section, et sur le pavé de toutes les tombes que l’on n’a point encore enlevées : le nom des morts est sous les pieds des danseurs qui ne l’aperçoivent pas, et qui oublient qu’ils foulent des sépulcres.

On danse encore dans chaque guingette des boulevards,