Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/237

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bois obligés. La musette même joue dans la gargotte enfumée du Limousin, tandis qu’il avale son brouet.

Mais c’est surtout dans les souterrains du Palais-Égalité que l’Académie des Quinze-Vingts attire la foule.

Douze ou quinze virtuoses de la même force, hissés sur un Parnasse de sapin, vous déchirent sans relâche les oreilles, et sourient malignement de votre martyre, parce leur tympan est à l’épreuve de la trompette.

Ce n’est pas tout : souvent une Diane échevelée, à la gorge rebondie, embouche le cor, et joue tout un presto, sans reprendre haleine.

Pour compléter cette douce mélodie, un porte-faix frappe et fouette à tour de bras un énorme tambour dont le sourd bourdonnement ébranle et secoue toutes les têtes.

À chaque instant le directeur de cet épouvantable sabbat, s’évertue et des pieds et des mains, pour remettre en mesure ses Muses indociles. Elles ne connaissent d’autre accord que le tintement des verres ou celui des bouteilles qu’elles cassent dans l’agitation de l’ivresse. L’eau-de-vie coule en guise d’Hippocrène au bas de leur Parnasse.

Vous y distinguez, à son air important, plus d’un Marsyas qui défierait Apollon, et qui, dans son orgueilleux délire, soutiendrait jusqu’au bout le supplice de l’écorchement.

Oui, ces modernes Corybantes qui font braire si rudement leurs aigres cymbales, ont la plus haute conscience de leur talent, et quiconque n’applaudit pas au sifflement du flûteur ivre qui bave dans sa flûte, ou à tel chanteur à la voix de corbeau, risque d’être provoqué, insulté, honni.

Ce sont les Cafés qui ont amené la mode des concerts d’harmonie, et qui ont fait de la musique le métier de tout le monde.

Eh ! n’a-t-on pas vu encore sur les vieux boulevards, dans ce Café si fréquenté par le peuple, un cabinet poétique placé sous l’orchestre même ; en sorte que le Dieu des vers caché dans ce sanctuaire du génie, communiquait sa verve pétulante à ses implacables opérateurs, et donnait le transport à ses Pythonisses ?