Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/242

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Les nouveaux millionnaires encore plus indifférents, mais non moins déchaînés contre le gouvernement, se font une principale affaire de se trouver avec les princesses du jour aux concerts de Garat, dit sur le théâtre de Ribié, l’Orphée moderne[1]. Ces hommes parvenus ne connaissent rien à la musique, mais ils applaudissent à outrance les caracoulades du chanteur, et ils admirent les femmes qui embellissent toutes les loges.

Si ce monde est une rotation perpétuelle, pourquoi les anciennes marchandes de pommes et de tripes ne figureraient-elles pas à leur tour, surtout lorsqu’elles sont jolies ? car la vraie noblesse chez les femmes est la grâce et la beauté.

Les thés sont en grande faveur. C’est presque les seuls endroits particuliers où l’on se réunisse : il n’y a plus de repas ; chacun mange chez le restaurateur, dont le nombre se multiplie à l’infini : il y en a à chaque coin de rue. On n’aperçoit que barbouilleurs hissés au haut d’une échelle, dessinant pour enseignes, des lièvres, des jambons, des écrevisses, des saucissons, ou écrivant en lettres anglaises : Déjeuners froids, cabinets particuliers : on n’entendra que trop cette dernière annonce ; un bouchon est devenu la grotte de Vénus.

Il faut que le pot-au-feu soit renversé dans presque toutes les maisons. Autrefois on se présentait pour dîner chez son ami ; aujourd’hui c’est tout différent ; chacun reste chez soi : on va prendre, en catimini, son repas chez son restaurateur. Est-ce économie ? est-ce division ? Ce qu’il y a de certain, c’est que cette mode annonce rupture et désunion dans l’ordre domestique, et l’on peut dire que les restaurateurs indiquent un changement essentiel dans notre manière de vivre et dans nos mœurs.

Les thés au moins semblent rapprocher davantage ; ils sont le premier pas pour remonter vers l’urbanité française,

  1. Voir chapitre : Ribié, directeur.