CANTINES POPULAIRES
ui n’a pas vu, il y a peu d’années, à la place de Grève, ce
fameux débitant de tisane, qui, pour la somme d’un
liard, désaltérait dans les chaudes journées de la canicule
le Limousin, le charbonnier, le manœuvre, l’artisan laborieux
et les jeunes enfants. Sa fontaine placée à poste fixe
était inépuisable. Un porteur d’eau, d’heure en heure, la
remplissait. Le majestueux fontainier attirait tous les
regards par son brillant costume. De larges galons d’or
sur toutes les coutures de sa veste écarlate, en augmentaient
l’éclat ; et quand, d’un agile poignet, il tournait
d’un même coup trois robinets, pour servir sept à huit
buveurs à la fois, le bruissement des grelots qui pendaient
à ses manches et qu’il secouait glorieusement en essuyant
ses gobelets, s’entendait jusqu’au Pont-au-Change. Enfin
les jeunes filles qui venaient aussi se désaltérer à sa fontaine,
se miraient en souriant, dans la glace de son casque dont
les diamants multipliaient le soleil. Hélas ! cet illustre
fontainier, ce miroir du soleil a disparu. On ne boit plus de
sa tisane au citron, de sa bienfaisante tisane, dont on
soufflait la mousse orgueilleuse par-dessus les bords du
gobelet.
À sa place ont succédé des Cantines ou échoppes où l’on ne boit point de la tisane à un liard le verre, mais du vin, à prix énorme. Ces tavernes établies le long de la Grève se prolongent sur le port au blé, et se terminent au port Saint-Paul. Quatre perches forment leur structure ; d’antiques tapisseries, criblées de trous, défendent mal les buveurs contre le soleil qui les cherche. Dans le fond se voient des tonneaux en perce. Toutes sont pleines de mouchards, d’escrocs, d’escamoteurs, de soldats. La plébécule se dédommage du vin qu’elle n’a point bu depuis un an, et noie sa raison dans les pots.
Ce port où le citadin voyait jadis aborder avec joie les