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ERREUR CAPITALE



Notre ancien gouvernement était despotique, avilissant, nous l’avons renversé dans l’accès d’un généreux enthousiasme ; mais nous avons confondu ce qu’il fallait détruire avec ce qu’il eût fallu conserver, ce qui tenait au despotisme avec ce qui pouvait s’allier à toutes les formes de gouvernement : on a voulu faire de nous des hommes entièrement nouveaux et l’on n’en a presque fait que des sauvages. À force de créer et de détruire, de s’écarter des idées reçues, on n’a plus su sur quelles bases se fixer. Pour proscrire la superstition, on anéantit tout sentiment religieux ; ce n’était point là régénérer la terre : au milieu de ce désordre, de cette anarchie morale tâchons de serrer un fil qui puisse nous guider. Le but de ces terribles innovateurs était de substituer l’amour de la patrie à tout le reste. Sans doute l’amour de la patrie doit être la base des vertus républicaines, mais pour aimer sa patrie il faut y trouver le bonheur. Cet amour de la patrie, qui doit enflammer le républicain, ce n’est pas seulement cet instinct qui attache l’homme au sol qui l’a vu naître, qui lui rend cher l’arbre qui abritait la cabane où fut placé son berceau. Le républicain embrasse dans ses affections tous les hommes qui l’environnent : tous ses concitoyens lui sont chers ; il leur est lié par une espèce de consanguinité patriotique.

En conscience, nous ne pouvions, dans ce renouvellement de choses, embrasser et chérir la noblesse française ; c’étaient en quelque sorte des castes orgueilleuses comme les bonzes, les gymnosophistes de l’Inde, plus occupées à différer du vulgaire qu’à lui être utiles. La noblesse dut voir que le monde est condamné à de perpétuelles convulsions. Les empires s’écroulent, les peuples disparaissent. Des barbares sortent des forêts, subjuguent les nations amollies par le luxe, les arts, et la jouissance : les erreurs des folies, des violences composent dans tous les siècles et dans tous les