Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/34

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cachots, il a fallu être lié à la planche de la Guillotine, et voir incessamment la mort, soit dans les fureurs, soit dans les erreurs d’un grand peuple soulevé. Qu’importe ! mes jours fatigués ont été pleins. J’ai vu ce que n’ont point vu d’autres hommes. J’ai assisté à des commotions terribles et désastreuses, qui agrandissent et fortifient l’âme, qui la rendent supérieure aux événements, qui lui font braver le trépas. Je ne troquerais pas cette existence orageuse, mais instructive, pour une autre plus calme et plus tranquille. Après ce que j’ai vu, l’histoire des hommes est dans ma tête.

J’y ai encore les images et le fracas d’une ville assiégée ; en effet, presque chaque jour les tambours, le rappel, la générale, le cri des sectionnaires, le bruit des armes, la crainte des uns, la joie féroce des autres, les prédictions des plus affreuses catastrophes : il faut marcher entre les royalistes et les anarchistes ; et quand ceux-ci se rallient, se donnent la main, on n’a plus que le gouvernement pour arrêter l’effusion du sang.

Eh ! que d’assassinats ! Paris assassine Lepelletier-Saint-Fargeau ; Charlotte Corday poignarde Marat ; Robespierre, enviant à Collot-d’Herbois les honneurs de son assassinat, rêve et publie qu’un enfant de seize ans a voulu attenter à ses jours ; Tallien, sentant son pouvoir thermidorien s’échapper, se fait manquer d’un coup de pistolet dans la rue de la Perle ; le jeune et innocent Féraud est massacré au pied de la tribune par des furies qui se sont perdues dans la foule ; Lepelletier est assassiné à Chartres ; et enfin Siéyès est assassiné par un prêtre nommé Poule, qui a failli lui donner la mort ; et un tribunal le condamne seulement aux fers. Quels jours ! s’il y en a eu de semblables dans l’histoire ancienne, je ne me les rappelle pas : et au milieu de tant d’horreurs, des bals, des concerts, des galas, de nouveaux costumes plus brillants les uns que les autres, des dépenses inutiles ; et l’on se plaint des voleurs, des boues et des lanternes.

Il y a des jours cependant où Paris est très calme, où