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ARMOIRIES


Le décret le plus décisif pour les démocrates et le plus mortel pour les aristocrates qui ait jamais été rendu, est celui du 19 juin 1790 : « Aucun citoyen français ne pourra « porter, ni faire porter, des livrées, ni avoir des armories. »

Dans ces jours de désolation, la noblesse voile les inscriptions et les écussons des hôtels d’une espèce de chemise de plâtre, comme les calotins couvrent le visage des saints et des madones, dans le deuil de la semaine sainte. La noblesse espéra que la révolution ne durerait pas plus que cette légère enveloppe. Ils rirent comme le sculpteur, qui montrait le nom du prince sur un ciment adroitement appliqué sous lequel était gravé le nom de l’artiste que le temps devait découvrir à la postérité. Ils espérèrent que le temps ferait reparaître leurs écussons, et viendrait glorifier leur race. On remarqua beaucoup de voitures, où l’on avait mis sur les panneaux un brouillard épais, comme pour donner à entendre que ce gros temps qui empêchait de se reconnaître passerait. Un de nos aristocrates, de peur que le peuple ne saisît pas l’allégorie, mit pour devise : Ce nuage n’est qu’un passage.


Ce fut le petit nombre des ci-devant nobles qui se bercèrent de ces songes. Mais la plupart ne s’abusent plus ; à l’exception de M. Capet-Condé, en qui semble avoir émigré l’âme de M. l’abbé Trente mille hommes, et qui ne cessait de dire comme lui : Donnez-moi trente mille hommes ; faites-moi un noyau de trente mille hommes, tous les autres regardent leur noblesse comme enterrée ; et l’égalité établie par la déclaration des droits, leur fait souffrir le supplice anticipé de la vallée de Josaphat.

Il est très vrai qu’une vieille comtesse est morte de rage, à la lecture du décret. Elle n’a pas expiré au moment même, comme on l’a dit, mais une demi-heure après. Le