Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/50

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Les étrangers qui arrivaient par Versailles disaient, les yeux baignés de pleurs : quels hommes que ces Parisiens ! Il fallait voir cette vaste fourmilière de citoyens occupés aux plus rudes travaux ; il fallait voir la longue chaîne qu’ils formaient, attelés à des charrettes surchargées. Des pierres énormes cèdent à leurs efforts ; il semble qu’ils entraîneraient des montagnes : il n’est point de corporation qui ne veuille contribuer à élever l’autel de la patrie. Une musique militaire les précède. Tous les individus se tiennent quatre à quatre, portant avec gaîté la pelle et la pioche, leur cri de ralliement est ce refrain immortel d’une chanson nouvelle, qu’on appelle le carillon national ; tous chantent à la fois : Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira ! oui pardieu : ça ira ! répètent tous ceux qui les entendent. Les habitants des villages, même éloignés, accoururent, ayant à leur tête leur maire, avec son écharpe et la pelle sur l’épaule.

Mais ce qui surprend le plus, c’est l’ordre qui règne parmi un si grand nombre de citoyens de toute condition. Pas un propos injurieux, pas la plus légère querelle. On comptait dans le Champ-de-Mars plus de deux cent cinquante mille hommes, et pas une sentinelle.

Un grand nombre de députés pour la fédération vinrent aussi travailler ; différents membres de l’Assemblée nationale les accompagnaient ; on distinguait, parmi eux, le père Gérard, qui, comme un ancien Romain, passe de la charrue au sénat, et du sénat à la charrue. On a vu MM. Siéyès et Beauharnais, attachés à une charrette ; on a remarqué qu’ils tiraient plus à gauche qu’à droite. L’abbé Maury aurait tiré à droite.

Le 9, les charbonniers traînaient derrière eux leur bannière ; un d’entre eux, en manteau court, en rabat et enchaîné, était l’aristocratie personnifiée par ce J.-F. Maury. Les collèges et les pensions ont pris part à ces travaux. Un pensionnaire de Vincennes, échauffé par un travail opiniâtre, s’écria : « Je ne puis encore que donner ma sueur à ma patrie, quand viendra l’heureux moment où je verserai mon sang pour elle ? »