Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

roi, son âge et son innocence deviendront, dans le lointain, des vertus. On sait combien les mots dirigent les hommes : chaque Bourbon se dira propriétaire du trône, et offrira des parties de la France à qui voudra le rétablir. Plus ces prétentions seront extravagantes, plus elles prendront chez des peuples accoutumés à regarder les rois comme des Dieux, sans lesquels rien ne saurait exister, et qui seuls peuvent donner la vie au corps politique.

« Mais Louis XVI est prisonnier : les princes émigrés oseront-ils dire qu’il n’est plus ? Fidèles à leur détestable logique, ils ne veulent que tyranniser sous son nom ou après lui. Les plaines de Châlons violées par les ennemis déposent que Louis est à la lettre prisonnier de guerre : il n’est pas permis d’égorger son ennemi. Si le matin du 10 août, il fût tombé sous le fer des vengeurs de la liberté sa mort n’eût point été un crime : elle eût été un grand acte de justice aux yeux de l’Univers : tout était légitime alors. Mais la Providence qui me semble avoir disposé tous les événements de cette grande révolution, ne l’a pas permis ; elle semble avoir dit aux Français : Vous aurez une république, et vous aurez en même temps la gloire d’avoir épargné le sang de votre plus cruel ennemi. L’exemple sera le même pour toutes les têtes couronnées : faire tomber celle de Louis XVI, serait faire croire qu’il est encore redoutable. Il ne l’est plus : l’incompréhensible talisman est brisé. Le meurtrier de la Bastille, de Nancy, de Tournay, des Tuileries, portera sur son front la marque éternelle de sa réprobation ; et son pied ne foulera plus la terre vivante de la liberté ; il ne jouira pas même du doux plaisir de la contempler. Du fond de son obscure prison, il entendra nos hymnes de victoire : et qui sait, si le remords ne pénétrera point son cœur avec les larmes d’un vrai repentir ; si dans la douleur amère qui oppressera son cœur, il ne s’écriera pas : J’étais un insensé, j’étais un barbare : mais les hommes m’avaient fait roi.

« Il faut donc compter pour quelque chose la réaction morale qui détermine toujours les esprits vers la pitié,