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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome V, 1783.djvu/212

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ans avec ce grand appareil, il perdroit à coup sûr beaucoup de soldats.

Quand cet ouvrier s’est donc vendu dix écus vers la plaine des Sablons, & qu’il a fait enfin ce jour-là un bon repas, le recruteur lui dit le lendemain : mon cher ami, j’attendois la voiture du régiment, elle ne vient pas, je ne sais pourquoi ; mais il fait beau, marchons à pied, nous gagnerons de l’appétit.

Il ne s’agit en effet que de faire cent trente lieues à pied. À la premiere journée, le recruteur dit au pauvre fantassin harassé : nous entrerions bien dans cette auberge, mais comment coucher dans des lits où tout le monde a couché ; entrons chez ce bourgeois, il nous donnera de la paille fraîche. Le roi lui a recommandé de nous bien traiter ; s’il ne nous traitoit pas bien, le ministre le sauroit & en informeroit le roi.

On entre dans la maison nue, & l’éloquent recruteur ajoûte : mes amis, le roi vous fait servir de la chair crue, parce que chacun suivra son goût ; l’un l’aime rôde, l’autre bouillie,