Page:Mercure de France, t. 68, n° 244, 15 août 1907.djvu/72

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DANS UN MONDE SONORE



Je ne sais comment l’idée me vint de renouer connaissance. Lui, je l’avais perdu de vue depuis notre commun départ de Bordeaux ; et mon voyage en Malaisie s’était chargé d’éteindre une intimité déjà très mourante. Les avis pleins de réticences que prodiguaient autour de sa personne tous ses confrères du laboratoire de physique, et les deux appariteurs à la Faculté me laissaient indécis à son endroit. Voici : il habitait, avec de maigres rentes, une villa sans voisinage, rissolant, parmi quelques pieds de vigne, en pleine Benauge ; — et n’en sortait pas. Quant à sa femme, on la disait infiniment dévouée. On la plaignait un peu de partager cet isolement sans but. On chuchotait ; on se taisait. Tout cela, dès mon retour, me parut piquant : en un clin d’œil je sentis ressusciter ma sympathie pour ce vieux camarade. Aussi bien, j’imaginai ce qu’une réclusion chaude avait pu faire de Mathilde, dont je savais les aptitudes passionnelles. Cependant, elle n’avait jamais été ma maîtresse.

À vrai dire, la chose en pouvait sembler évidente à tous, et parachevée. Car son mari me témoignait une démonstrative affection. Mais l’occasion, l’instant, le prétexte nous avaient toujours manqué. Ainsi, je me présentai chez eux libre de petits remords, au passé, mais résolu à m’en pourvoir abondamment par la suite.

Je la revis sans émoi aucun. Elle ne poussa pas cette exclamation sourde, en usage dans les tragiques retrouvées ; il n’y eut pas de silence profond. À mon salut elle répondit par un « je suis heureuse de vous voir » qui me parut trop franc pour ne pas cacher quelque jeu, et m’embarrassa. Je dis un peu à l’aventure :

— Comment va André ?

— Mal. Très mal.

Elle se tut. Son visage était sérieux et vrai. Je frémis. J’ai