Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/154

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34o MERCVRE DE FRANGE— 16.x1.1908 dont on s’occupera le plus. Et cela ne sera pas inutile à sa gloire littéraire. R. DE BTJRY. LES THÉÂTRES Théâtre des A rts : L’Eveil du Printemps, pièceen 3 actes et i5 tableaux, de Frank Wedekind, version française de Robert d’Humières ; M . Mésian, comédie en 1 acte, de Pierre Veber, (28 octobre). — Memento. Si vraiment dans un coin d’Allemagne, à l’heure actuelle, l ’éduca­ tion des enfants ressemble à ce que nous en fait soupçonner M. F. Wedekind dans l’Eveil du Printemps, c’est faire œuvre pie et courageuse de dénoncer de telles turpitudes. Voilà donc un pays évangélisé, christianisé jusqu’à la moelle, et l’hypocrisie des mœurs, la prépotence d’une morale sociale artificielle et servile y étouffent à tel point les élans naturels, les fonctions nécessaires de l’instinct, que lorsque des enfants, harcelés par l ’éveil latent de la puberté, s’inquiètent de la mystérieuse transformation qui s’opère en eux, des aspirations nouvelles dont ils sentent impérieusement l’aiguil­ lon, sans en débrouiller avec netteté l ’essence et la portée, ils ne trouvent auprès d’eux personne, parents, frères, amis, maîtres, ni même confesseur, pour les initier à ce qui va désormais, pour eux comme pour tous les êtres humains, devenir, qu’ils le veuillent ou non, le grand mobile, le grand motif de douleur et de joie qui décidera de toute leur vie. Rien ne leur ouvre les yeux sur l’office nécessaire et suprême de notre existence terrestre, sinon les révéla­ tions clandestines dJun camarade dont l’esprit s’est nourri de lec­ tures hâtives et incertaines. C ’est un péché, c’est un scandale, c’est une honte pour cette société corrompue de préjugés qui lui dessè­ chent les sens et le sentiment, que de parler, avec une sérénité grave et selon la vérité, de choses graves dont la compréhension doit dé­ terminer chez les jeunes gens encore anxieux une ère de bonheur ou d’infortune. Et comme ces jeunes gens sont pétris de bonne heure, en bons allemands qu’ ils sont, d’abord dans les irréalités faussement sentimentales d’un folklore un peu niais, puis dans les insanités amphigouriques delà métaphysique la plus abstruse, ils se débattent éperdument dans un conflit sans bonne issue possible : ou ils s’en­ fourneront plus avant, prunelles éteintes, oreilles bouchées, dans les ténèbres du rigorisme le plus papelard et le plus sinistre, ou, bous­ culés de doutes, d’irrésolution, torturés de désirs, de honte et de mé­ pris de soi-même, ne pouvant tuer en soi la force vivifiante et trans- figuratrice, ils fuiront le monde, ils fuiront ceux-là même qu’ils eus­ sent aimés, ils se fuiront, hébétés et pantelants, dans le suicide. J’eusse aimé que du moins, comme conclusion à sa pièce, M. W e­ dekind, autrement que par l’apparition impérieuse de cet étrange