Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/166

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352 MERCVRE DE FRANGE— i6-x i-iUo8 supériorité française, et il a fini par trop nous ressembler, dans le marasme. Au fait, il a peur, ce chevalier devenu bourgeois, peur d’agir ; car il demeure profondément catholique, presque à son in s u , et il est entré dans sa volonté quelque chose de destructif. P a r nature, il envisage la vie comme une figuration de théâtre; il y voudrait paraî­ tre glorieux. Comme pour tous les peuples d’éducation latine, la grosse affaire est de jouir, non de conquérir. Aussi, quand on lui recommande de s’ instruire, il en a git comme nous-mêmes ; il songe à cultiver d’abord l’intelligence, qui sert à ruser, à ergoter, à cou­ per les cheveux en quatre, oubliant qu’avec de la volonté et du bon sens on arrive à tout, à la condition de ne pas hésiter. O r, c ’est dans la famille qu’une pareille éducation dynamique se p répare, et il faut que chaque membre du groupe soit intimement convaincu du sérieux de la vie, avant que celle-ci ne soit venue étreindre à la gorg e les imprudents, sans quoi toute désillusion devient dém orali­ sante, par excès de senti mentalité blessée. Au reste, tandis que l ’esprit scientifique de raison pure tend à rui­ ner, chez les hommes que sollicite un idéal de progrès, l ’immobilisme traditionnel et re ligieu x, la femme n ’emprunte à l’évolution mo­ derne que le goût du luxe et des frivolités trop coûteuses. P ou r tout le reste elle demeure docile au x suggestions catholiques de soumis­ sion à une autorité morale, dont on ne discute pas et vis-à -vis de qui tout ce qui sait se cacher est sûr d ’être pardonné. Ainsi éclatent, à la base de la famille et dans le cœur de chacun, de désastreuses diver­ gences, source intarissable de mille faiblesses et de mille hésita­ tions. Sur cette stagnation fleurit abondamment l’arrivisme sans scru­ pules ou, chez les meilleurs, cette fausse conception que l ’énergie d’ un seul homme peut un jour tout sauver socialement et politique­ ment. Ce fut là l ’erreur de Franco. Le dictateur avait annoncé l’in ­ tention de gouverner « à l’anglaise » ; il oubliait que les âmes anglaises sont plutôt rares en Portugal et que, pour en susciter un nombre suffisant, une longue préparation de liberté, de responsabi­ lité individuelle, est nécessaire. Ah ! comme le Portugal nous ressemble ! me disais-je, touten savou­ rant l’humour exquis des chroniques alertes que Paulo Osorio con­ sacre à la société actuelle de Lisbonne. Grâce à lui, on saura dans l’avenir à quels travers de vanité, à quels égarements de sensua­ lité misérable elle était en proie, quand se produisit en pleine rue l’assassinat de deux princes, et l’on trouvera plus sûrement l’explica­ tion du formidable événement. Directeur d’un journal franquiste, observateur mordant et très averti des causes du malaise social, cri­ tique alerte et fort au courant des choses du théâtre, Paulo Osorio