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Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/175

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REVUE DE LA QUINZAINE 3Si d’un impôt qu’il ne peut pas payer et qui le privera des bienfaits de science et de la civilisation. Mais je ne vais pas m’arrêter à tous les vieux arguments, d ’ailleurs connus, pour ou contre la liberté des traductions. Tous ils peuvent être ramenés à deux causes : l’ une morale et l ’autre matérielle. Au point de vue moral, les partisans de la Convention et la ma­ jo r ité des adversaires, après des débats passionnés de la dernière année, se sont déjà mis d ’accord : profiter des œuvres des auteurs de pays étrangers sans les rémunérer, sans les défendre, surtout après que nos auteurs russes ont trouvé le moyen de sauvegarder leurs droits et le mettent en pratique (i), cela, évidemment, il est impossi­ ble de l ’admettre comme une situation normale. « Mais, ajoutent immédiatement nos adversaires : i° on nous lit relativement peu à l’étranger et le côté moral n’est pas aussi terrible qu’on le dit ; 2®la Convention amènera le monopole des éditeurs et lésera, p ar consé­ quent, les intérêts des traducteurs ; elle créera la cherté du livre, diminuera par conséquent son écoulement et sera nuisible à l’ins­ truction du peuple. » Le premier point, c’est encore de l’anachronisme. On lit à présent les auteurs russes autant que les autres, si ce n’est plus. Tolstoy, Dostoievsky, G orky, A ndreieff sont lus partout. Et ce n’ est pas seu­ lement en France, où même u n écrivain démocrate comme l ’auteur de Sous-Off, de la Colonne, des Oiseaux de Passage, etc., s’est plaint, il y a quelques années, dans l’Echo de Paris, de l ’envahisse­ ment de la librairie française par les écrivains étrangers, et princi­ palement par les Russes, mais ailleurs, et notamment dans l ’hebdoma­ daire Blater fü r Bûcherfreunde de Muuich, nous trouvons, par exemple, cette plainte contre les traductions russes publiées en A lle ­ magne et en A utriche, en 1907, soit en librairie, soit dans les pério­ diques : (1) Grâce à Tourguéneff et ensuite à Melchior de Vogué, la mode est venue à la littérature russe. Des traducteurs ou plutôt des fabricants en traductions ont ensuite compromis le mouvement et la mode allait disparaître, lorsqu’avec Gorki et une pléiade de jeunes — Veresaïeff, Kouprine, lonckevitch, Aïzman et surtout L. Andreieff — l’intérêt pour la littérature russe reprit et un nouvel état de choses se fonda* D?un côté, la Convention de Berne permit aux auteurs russes de se faire protéger sur le territoire de l’Union en y éditant leurs œuvres, en texte russe, ce qui les assimilait au point de vue protection aux œuvres du pays et ce que la maison d’édition Znanié sut organiser en Allemagne sur une large échelle ; d*un autre côté, quelques auteurs étrangers en vue, notamment des auteurs dramati­ ques, s’entendaient avec des traducteurs russes de choix ou avec les directeurs de theàtre pour la remise préalable du manuscrit de leurs œuvres et distançaient par cette combinaison détournée les « fabricants de traductions ». Ce nouvel état de choses augmenta encore, si possible, l’état d’anarchie dans les relations littéraires de Ja Russie avec les pays étrangers. Des procès s’ensuivirent en Allemagne, en Italie, en France. On ne savait, et on le sait de moins en moins, quels étaient les traducteurs autorisés ou non à traduire telle œuvre russe qu’on apportait à ua directeur de théâtre ou à un éditeur.