Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
216
215
MERCVRE DE FRANCE — 16.XI.1908

Ah ! faites de mon cœur charmé votre pâture,
Monts, forêts, terres, ciels, fleurs, vignobles, coteaux.
Serrez-moi contre vous, ô fragiles roseaux.
Que je sente à mon front vos baisers, onde fraîche.
Que votre fin duvet se pose, belle pêche,
Sur ma tempe, et que la clématite aux brins doux
Emprisonne mes pieds, s’enroule à mes genoux,
Et jusque sur mes mains promène ses guirlandes.
Etendez sur mon corps vos sachets, ô lavandes.
Dans mon âme versez, troènes et fusains,
Votre âme de verdure ; et vous, jeunes raisins,
À ma bouche mettez votre fraîcheur charmante.
Imprégnez-moi de votre odeur, romarin, menthe,
Serpolet, qui couvrez le talus des sentiers.
À vos sèves mêlez mon esprit, grands halliers.
Ô pampres, détachez des espaliers vos vrilles ;
Vignes vierges grimpant dans la nuit des charmilles,
Laissez là le tronc lisse et prenez dans vos bras
Mon être aride, mais qui sous vos mille lacs
Sera comme une fleur dans un nid de feuillage.
Attirez-moi dans votre chaud et doux sillage,
Ô parfums qui jouez sur le tiède jardin
Comme un essaim de papillons ; et vous, satin
Dss blancs magnolias, vous, tendres ancolies,
Vous, orangers de nacre, églantines jolies,
Capucines, œillets plus roses que le ciel,
Héliotropes noirs, sacrés comme le miel :
Laissez couler sur moi vos baumes, vos essences ;
Qu’à jamais je m’absorbe en leurs effervescences,
Et qu’éternellement votre suavité
Mefasse fuir l’amour et son joug redouté.


PIERRE DE BOUCHAUD.