Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/34

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par raison d’argent et pour sauver les siens, d’épouser l’a­mant de sa mère.

Encore plus pessimiste que la Meule, Mirages, la seconde œuvre dramatique de M. Lecomte, écrite sous le feu d’une visible inspiration ibsénienne, ne comporte pas moins de vigueur dans l’étude des réalités. Le jeune Paul Hamelin, sorte « de canard sauvage » épris d’un idéal de beauté, de bonté et d’harmonie, se voit bafoué dans toutes les hautes ambitions de son cerveau et de son cœur ainsi que la Jeanne de la Meule l’a été dans le vierge espoir de ses vingt ans. Vain­cu de la vie âpre et de la brutale laideur, il meurt sans avoir pu se résigner à l’acceptation.

À côté d’un soin évident dans l’étude des mœurs, d’une attention soutenue dans l’observation de tous les conflits secrets ou visibles du cœur et de l’argent, de l’intérêt et de l’intelli­gence, apparaît déjà dans le ton de l’auteur un frémissement de révolte contre les iniquités du monde et de la famille, con­tre les préjugés auxquels les êtres d’exception n’échappent (ainsi dans Mirages) que par la mort, mais devant lesquels tant d’autres s’inclinent (telle la Jeanne de la Meule) avec un grand repliement douloureux.

Un roman comme Suzeraine, un autre comme la Maison en fleurs, écrits très postérieurement, témoignent d’un même sentiment élevé de réprobation contre les lois haineuses, les préjugés tristes et toutes ces convenances de mondanité aux­ quels tant de millions d’êtres ont accoutumé de sacrifier le bonheur et de soumettre la vie. Plaidoyers chaleureux en faveur du droit à l’amour quand même, ces deux beaux ouvra­ges se valent par une même peinture des passions, une sen­sibilité aussi grande et cette vérité dans les caractères à laquelle l’auteur atteint par sympathie avec son sujet.

Les grandes « ondes d’amour » dont vibrent, au mépris de toutes les règles et de tous les dogmes, les êtres spontanés, fiers et libres parcourent ces récits tout gonflés de l’ardeur et de la fièvre de vivre.

La Maison en fleurs, sous sa placidité de paix apparente, au milieu du repos, dans le chant des arbres et sous le bleu du ciel, dissimule un drame au plus haut point poignant. Mme  de Bouillane a eu M. de Ruffé pour amant ; Mlle  de Bouillane est née de leur étreinte : et voici que, plus tard, le fils de