Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/104

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Mme Fridaine se redressa. Elle méprisait, disait-elle, « tous les cœurs de lièvre ». Elle eut peu d’indulgence « pour un Rubin qui ne savait pas regarder le malheur en face ». Mme Sableux fut contrainte de se taire. En désespoir de cause, elle accusa la fatalité.

— Oh les années… les années… que nous traversons.

La brouille survenue entre l’aïeule et Marguerite l’avait atterrée. Elle essaya vainement d’arranger les choses. Au premier mot on la cloua net.

— Ma chère Louise, mêlez-vous donc de ce qui vous regarde. Je ne suis plus une petite fille.

Par crainte de perdre une amitié, cette fois encore, elle garda le silence. — Pourtant elle en venait, elle aussi, à penser comme M. Lecocq. Si Mme Fridaine était raisonnable, elle vendrait son fonds et se retirerait à la campagne. C’est que le vide, de plus en plus, se faisait dans la boutique. Chaque semaine apportait une nouvelle épreuve. La plus cruelle avait été la défection de Mme Desgenettes, la châtelaine des Combes, qui venait chaque samedi à Beaumont pour faire des emplettes et s’arrêtait un quart d’heure à la mercerie. — Un jour, elle ne vint pas et une voisine conta qu’elle avait vu sa voiture arrêtée devant la porte du magasin.

— Mais qu’est-ce qu’ils ont donc tous ? éclatait Mme Sableux en portant ses poings à ses tempes.

Ce qu’ils avaient tous, elle l’apprit à ses dépens quatre mois plus tard. Mme Sableux possédait de vieux chenets en cuivre. Maintes fois, elle avait rêvé : « Il faudra que je remplace mes chenets. » Pourtant, elle ne s’y décidait pas, faute de trouver à bon compte un modèle qui lui convînt. Or, un soir, en passant devant le magasin, brusquement, elle s’arrêta. C’est qu’elle venait d’apercevoir à la montre une paire de chenets qui répondait totalement à ses désirs. Une mince étiquette liée par un fil rose attestait la modicité du prix. Dix fois de suite Mme Sableux passa devant les chenets merveilleux. Un combat se livrait en elle. Elle eût voulu étouffer cette envie comme une bête mauvaise. Mais, finalement, comme elle souffrait trop, elle usa d’un vil stratagème. Elle pria Mme Chantel, l’ancienne femme de ménage des Ternaux, d’acheter les chenets « comme pour elle » et de les lui apporter discrètement.

La chose fut faite et les chenets installés dans la salle à