Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/42

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également les plus éprouvés, et les plus neufs : Brahms et R. Strauss ; Wagner, et l’opérette. Nous la trouvons peu délicate ; mais elle nous dit frivoles ; elle entend par là que nous ne nous livrons jamais qu’à demi, et il est bien possible qu’elle n’ait pas tort. Rien à faire à cela : les races ont les défauts de leurs qualités. Le goût français est éclairé : de tous temps il a penché vers la préciosité ; l’esprit français est logicien : il a toujours abusé de l’abstraction.

Mais cet avenir, dont nous nous faisons aujourd’hui les champions, il serait bon peut-être d’en tenter une définition, non pas totale, ni certaine, mais approchée, et conjecturale. Ainsi pourrons-nous au moins éviter de trop grosses erreurs, comme de combler d’éloges, pour avoir approché de la perfection future, une œuvre qui se trouverait orientée dans un sens tout contraire.

§

Je ne reprendrai pas ici la querelle qui, depuis quelques années, met aux prises les spécialistes de l’harmonie et du contrepoint. Ceux qui soutiennent la première ne donnent le nom de musique qu’à une succession d’accords, aussi variés, d’ailleurs, riches et figurés qu’il se pourra. Les partisans du second ne reconnaissent que des mélodies, que l’on peut superposer entre elles ; et de leur rencontre il résulte bien des accords aussi, mais qui n’ont aucune signification, séparés des chants qui les ont accidentellement fait naître. Il arrive que dans ce camp on défende aussi les formes fixes, qui dic­tent à l’artiste un plan uniforme et d’avance arrêté : fugues ou sonates ; au lieu que les harmonistes revendiquent une indépendance entière et le droit de n’obéir qu’à leur sentiment, ou leur fantaisie. Rien de plus naturel : le contrepoint traduit un besoin de construction, l’harmonie un goût de liberté. C’est dire que la lutte, sous diverses formes et avec un succès variable, durera aussi longtemps que l’art aura pour termes, d’un côté, la logique, de l’autre, la nature. Il est donc permis de conserver des préférences personnelles, non de fermer l’avenir à l’un ou l’autre de ces deux styles. Il est à remarquer d’ail­leurs que la théorie seule les ferait croire incompatibles ; les plus belles œuvres les réconcilient. M. Claude Debussy, qu’on désigne comme le maître des pures harmonies et des formes