Aller au contenu

Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne prospère que sous l’empire d’une justesse relative de ses perceptions, et avant tout avec la régularité de celles-ci (en sorte qu’elle est à même de capitaliser des expériences)… La connaissance travaille comme instrument de la puissance. Il est donc évident qu’elle grandit à chaque surcroît de puissance… » — et plus loin :

« La mesure du besoin de connaître dépend de la mesure de croissance dans la volonté de puissance de l’espèce, une espèce s’empare d’une quantité de réalité pour se rendre maître de celle-ci, pour la prendre à son service[1]. » « Le monde de la conscience, dit-il ailleurs, est surajouté[2], » et encore : « Généralement, on prend la conscience elle-même comme assemblage sensoriel et instance supérieure ; du reste elle n’est qu’un moyen de communication, elle s’est développée dans les rapports, eu égard aux intérêts de relation[3] »… Certes, Nietzsche considère, comme le veut M. de Gaultier, toute connaissance comme une fiction nécessaire, mais il ne fait point de cette fiction l’élément primordial, elle n’existe pour lui qu’en fonction de l’élan vital et n’a pas de valeur plus grande que tels instincts nécessaires. Tandis que M. de Gaultier conclut à une théorie de la connaissance et à une philosophie du spectacle[4], Nietzsche déclare que la connaissance et le devenir s’excluent[5] et que, par conséquent, la connaissance naît d’une volonté de rendre connaissable, d’un devenir qui crée l’illusion de l’être, mais cette croyance en l’être ne naît que d’une méfiance et d’un mépris à l’égard du devenir. Vérité, dit-il encore, c’est la volonté de se rendre maître de la multiplicité des sensations, de sérier les phénomènes sur des catégories déterminées[6], et, en un autre endroit, volonté du Vrai — c’est l’impuissance dans la volonté de créer[7]. Ne découle-t-il pas de ceci que Nietzsche est bien, comme le désire M. Dumur, un dionysien, et je borne ici mes citations, qui pourraient être cent fois augmentées dans le même sens. Mais dès lors, demande M. Dumur, pourquoi la position si favorable de Nietzsche à l’égard

  1. Volonté de puissance, t. II, aph. 270.
  2. Ibid. aph. 283.
  3. Ibid. aph. 266.
  4. Cf. spécialem ent l’article : la Fin esthétique et le sens spectaculaire, dans les Raisons de l’idéalisme.
  5. Volonté de puissance, aph. 273.
  6. Volonté de puissance, aph. 273.
  7. Ibid. aph. 285.