esprit. J’en retrouvai le refrain dans ces mots : « Mort
d’immortalité… »
Revenu en été à ce lieu sacré où j’avais été touché par le pre mier éclair lumineux de l’idée de Zarathoustra, j’en trouvai la seconde partie. Dix jours suffirent. Dans aucun cas, ni pour le premier, ni pour le troisième et le dernier je n’ai mis davantage.
L’hiver suivant, sous le ciel alcyonien de Nice, qui, pour la
première fois, rayonna alors dans ma vie, j’ai trouvé le
troisième Zarathoustra — et j’avais ainsi terminé. Beaucoup de
coins cachés et de hauteurs silencieuses dans le paysage de
Nice ont été sanctifiés pour moi par des moments inoubliables.
Cette partie décisive, qui porte le titre : Des vieilles et des
nouvelles Tables, fut composée pendant une montée des plus
péni
ble de la gare au merveilleux village maure Eza, bâti au
milieu des rochers. L’agilité des muscles fut toujours la plus
grande chez moi lorsque la puissance créatrice était la plus
forte. Le corps est enthousiasmé. Laissons l’« âme » hors du
jeu… On m’a souvent vu danser. Je pouvais alors, sans avoir
la notion de la fatigue, être en route dans les montagnes,
pendant sept ou huit heures de suite. Je dormais bien, je riais
beaucoup. J’étais dans un parfait état de vigueur et de pa
tience.
Abstraction faite de ces œuvres de dix jours, les années de la composition de Zarathoustra et surtout les années qui suivirent furent des années de détresse sans égale. On paye chèrement d’être immortel : il faut mourir plusieurs fois durant que l’on est en vie.
Il y a quelque chose que j’appelle la rancune de la grandeur ; tout ce qui est grand, une œuvre, une action, se tourne immédiatement après l’achèvement contre son auteur. Par le fait même qu’il l’a accompli, il devient faible, il n’est plus capable de supporter son action, il ne la regarde plus en plein visage. Avoir quelque chose derrière soi que l’on n’a jamais pu vouloir, quelque chose où s’attache le nœud dans la destinée de l’humanité… et être dès lors forcé à en supporter le poids !… On en est presque écrasé… La rancune de la grandeur !
Autre chose est l’épouvantable silence que l’on entend