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MERCVRE DE FRANCE — 1-I-1909


dénouer les cordons des sandales de Zarathoustra : tout cela
 n’est pas encore grand’chose et ne donne pas une idée de la
 distance, de la solitude azurée où vit cette œuvre.

Zarathoustra possède un droit éternel à dire : « Je forme
 des cercles autour de moi et des frontières sacrées ; le nombre diminue sans cesse de ceux qui montent avec moi sur des
 montagnes toujours plus hautes, — j’élève une chaîne de montagnes avec des sommets toujours plus sacrés. » Que l’on réunisse le souffle et la qualité des âmes les plus hautes, à elles toutes elles n’auraient pas été capables de produire un seul discours
 de Zarathoustra. L’échelle est immense, où il monte et descend, 
il a vu plus loin, il a voulu aller plus loin, il a pu aller plus 
loin qu’aucun homme au monde. Il contredit, avec chacune
 de ses paroles, cet esprit le plus affirmatif qu’il y ait ; en lui
 toutes les contradictions sont liées pour une unité nouvelle. Les 
forces les plus hautes et les plus basses de la nature humaine, ce
 qu’il y a de plus doux, de plus léger et de plus terrible, jail
lit d’une seule source avec une immortelle certitude. Jusque-
là on ne savait pas ce que c’était que la hauteur, ce que c’était que la profondeur : on savait encore moins ce que c’était
 que la vérité. Il n’y a pas un instant, dans cette révélation de 
la vérité, qui ait déjà été deviné, par anticipation, par un de ceux qui sont les plus grands. Avant Zarathoustra, il n’existait pas de sagesse, pas de recherche de l’âme, pas d’art de la 
parole ; ce qui paraît le plus proche, ce qui paraît le plus vulgaire parle ici de choses inouïes. La sentence tremble de passion, l’éloquence est devenue musique ; des foudres sont lancés vers des avenirs qui n’ont pas encore été devinés. La plus
 puissante force imaginative qui a jamais existé est pauvreté
 et jeu d’enfant, si on la compare à ce retour de la langue à 
la nature même de l’image.

Voyez comme Zarathoustra descend de sa montagne pour
 dire à chacun les choses les plus bienveillantes ! Voyez de 
quelle main délicate il touche même ses adversaires, les prêtres, et comme il souffre avec eux, d’eux-mêmes. — Ici, à 
chaque minute, l’homme est surmonté, l’idée du « Surhumain » 
est devenu ici la plus haute réalité. Dans un lointain infini,
 tout ce qui jusqu’à présent a été appelé grand chez l’homme,
 se trouve au-dessous de lui. Le caractère alcyonien, les pieds
 légers, la coexistence de la méchanceté et de l’impétuosité et