Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

354 MERCVRE DE FRANCE— 16-1-1909 que, de d o s jours, un poète entreprend et achève un poème épique en douze chants? C’est la tâche à laquelle cependant s’est risqué Mr Alfred Noyés en prenant pour sujet l’invincible Armada, et pour personnage central, pour deus ex machina, l’amiral anglais Fran­ cis Drake, d’où le titre Drake : an English Epie. Il est dif­ ficile de vous promettre un plaisir continu et sans mélange, si vous vous aventurez à lire ce long poème. Pourtant, il renferme des beau- tés en grand nombre, et l’on est surpris que le poète ait en somme achevé avec un tel succès son œuvre. L ’inspiration ne se soutient pas toujours du même essor, et de brillants fragments sont reliés entre eux par des passages de versification monotone et incolore. Si Drake n’est pas un chef-d’œuvre dans un genre suranné et, somme toute, ennuyeux, Mr Nojes a néanmoins prouvé que ses dons poé­ tiques étaient excellents. Il a le sens du rythme et de l’harmonie avec une imagination riche et puissante. Au téméraire exploit du chantre de l’Armada vaincue, je préfère de beaucoup les London Visions, collecled and augmen/ed, par Mr Laurence Binyon. Non pas que je veuille établir une échelle de mérite; mais c’est uniquement une question de préférence person­ nelle, qui sera partagée sans doute. J’ai dit déjà ici toute mon admi­ ration pour le talent noble, et majestueux même, de Mr Binyon, et celte édition nouvelle et augmentée de ses London Visions confirme et augmente encore le plaisir que donnent ces beaux vers sonores,et tranquilles, aux images pittoresques et riches, à l’émotion naturelle et contenue. Les poèmes que Mr Henry Newbolt réimprime sous le titre de Glifton Ghapel and other School Poems, ont un carac­ tère tout particulièrement anglais qui sera difficilement goûté par un lecteur étranger. Mais, une fois admis le point de vue du poète, on comprendra ses sentiments et l’on goûtera les nobles idées q a’il ex­ prime en vers d’une technique vigoureuse et personnelle. Ce sont aussi des qualités de vigueur et d’individualité qui recom­ mandent à notre attention les recueils de Mr John Davidson. Dans la lettre-dédicace de son récent volume, The Testam ent of John Davidson, le poète réclame qu’on reconnaisse dans son œuvre « l’intégrité de la pensée et l’intégrité de l’imagination, quel­ que inattendues que soient la forme et la substance de l’une et de l’autre ». Vous trouverez d’étranges préoccupations chez ce poète ! Plus qu’aucun autre il est de son temps, il est d’aujourd’hui. Les grandes évolutions de l’humanité le passionnent. Les découvertes et les transformations l’enthousiasment, et, même si l’on est peu dis­ posé à voir ces sujets inspirer des odes et des ballades, il faut bien reconnaître que Mr Davidson y a trouvé les sources d’un lyrism e très particulier qu’il exprime avec grandeur.