Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/73

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CHAMFORT ET ALFRED DE VIGNY — Restez au Ht; je passerai la nuit dans ce fauteuil. Je sais que vous êtes grosse et je viens ici pour vos gens. Elle se tut et pleura : c ’était vrai. • C’estde cette anecdote que naquit Quitte pour la peur, ce petit acte qui scandalisa si fort la vicomtesse du Plessis. Ajoutons que, dans cette comédie, Tronchin joue un rôle épi- sodique, et que Tronchin apparaît dans la seconde des lettres diverses de Chamfort. — Mais venons au sujet lui-même. Dans les Anecdotes de Chamfort, nous trouvons les deux sui­ vantes : — M. de Roqneraont,dont la femme était très parlante, couchait une fois par mois dans la chambre de Madame, pour prévenir les mauvais propos si elle devenait grosse, et s’en allait en disant : c Me voilà net; arrive qui plante. » — On demandait à M. de Lauzun ce qu’il répondrait à sa femme, qu’il n’avait pas vue depuis dix ans, si elle lui écrivait : € Je viens de découvrir queje suis grosse. » I! réfléchit, et répondit : « Je lui écrirais ï Je suis char­ mé d’apprendre que le ciel ait enfin béni notre union, soignez votre santé; j ’irai vous faire ma cour ce soir. » La princesse de Béthune connaissait-elle une tierce anec­ dote ? ou une de ces deux-là, et l’arrangeait-elle? ou avait-elle Ju Chamfort pour enrichir ses menus propos? ou Vigny se rappelait-il le texte de Chamfort, le modifiait-il, et l’attribuait- il à une dame de son entourage? Tout est possible, avec les femmes et les poètes, en fait de « mémoire » créatrice. Mais certains rapprochements révéleront un commerce plus direct. Voici un passage de Chamfort (desAcadémies) : Celui qui se marie, dit Bacon, — c’est d’Alembert qui parle, — donne des otages à la fortune. Voici maintenant Vigny, dans son Journal : L e célibataire ne donne point, comme le père de famille, des o t a ­ g es à son pays: la femme, les enfants, garants qu’il ne peut déserter et devenir cosmopolite. Tous deux estiment que FEspérance est un grand mal, et qu’il en faut délivrer l’homme. Chamfort, dans ses Maximes : L’espérance n’est qu’un charlatan qui nous trompe sans cesse. Et. pour moi, le bonheur n’a commencé que lorsque je l’ai eu perdue. Je