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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/195

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MERCURE DE FRANCE

urgentes ; nous avons autre chose à faire. Personnellement, je ne donnerais pas, en échange de ces terres oubliées, ni le petit doigt de ma main droite : il me sert à soutenir ma main, quand j’écris ; ni le petit doigt de ma main gauche : il me sert à secouer la cendre de ma cigarette.

Inutile, à ce propos, de me traiter de mauvais Français ou même de Prussien ; cela ne me toucherait pas : Kant était Prussien et Heine aussi ; puis je vous demanderais, par curiosité pure, ce que vous donneriez de vos précieuses peaux pour joindre à la France la Wallonie belge ou la vallée de Lausanne, — pays, ce me semble, un peu plus français de langue et de race que les bords du Rhin ? Personne n’aboie contre les Anglais, qui détiennent les îles normandes, et le lointain, mais clairement francais, Canada, province d’outre-mer, mais aussi nettement province de France que les Charentes ou la Picardie.

Au fait, ces coins de terre d’au-delà les Vosges, sont-ils donc devenus si malheureux ? Les aurait-on, par hasard, fait changer de langue, de mœurs, de plaisirs ? Ont-ils subi un service militaire plus long ou plus dur, une administration plus pointilleuse, des fonctionnaires plus rogues, des maîtres d’écoles plus pédants et plus fats, des embêtements de conscience plus notoires, des impôts plus lourds, un gouvernement moins digne, moins sympathique, moins probe ?

Il me paraît qu’elle a duré assez longtemps la plaisanterie des deux petites sœurs esclaves, agenouillées dans leurs crêpes au pied d’un poteau de frontière, pleurant comme des génisses, au lieu d’aller traire leurs vaches. Soyez sûr qu’avant comme après, elles mangent leurs rôtis à la gelée de groseilles, grignotent leurs bretzels salés et lampent leurs amples moss. N’en doutez point, elles font l’amour et elles font des enfants. Cette nouvelle captivité de Babylone me laisse froid.

La question, du reste, est simple : l’Allemagne a enlevé deux provinces à la France, qui elle-même