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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/197

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MERCURE DE FRANCE

derviches hurleurs, et de ceux d’entre eux qui les soupçonnent, méprisés : ce qu’on en montre dans les journaux et dans les expositions devrait, au contraire, nous engager vers une certaine modestie. Quelle fierté les patriotes ont-ils jamais tirée des œuvres de, par exemple, Villiers de l’Isle-Adam ? Soupçonnaient-ils son existence, alors que le roi de Bavière l’accueillait et l’aimait ? Ont-ils subventionné Laforgue, qui ne trouva qu’à Berlin la nourriture nécessaire à la fabrication de ses chefs-d’œuvre d’ironie tendre ? Et pour ne citer qu’un seul nom d’artiste, est-ce par les patriotes que sont achetées les lithographies de Redon, dont les admirateurs sont presque tous scandinaves et germains ? Il y a un patriotisme à la portée de tous ceux qui possèdent trois francs cinquante, c’est d’acheter les livres des hommes de talent et de ne pas les laisser mourir de misère.

Laissons donc l’art et la littérature, puisque les productions par lesquelles on nous clame supérieurs sont au contraire de celles qui nous humilieront à jamais dans l’histoire de l’esprit humain, — et parlons du reste.

L’érudition, mais elle est allemande. Les Allemands ont inauguré, et détiennent encore, la philologie romane, et s’il faut chercher des professeurs connaissant mieux l’ancien français que les maîtres de l’École des Chartes, c’est en Allemagne. Qui nous a fait connaître notre littérature dramatique d’avant Corneille ? Des Allemands, et les bonnes éditions de ces poètes sont allemandes.

Qui a connu mieux que nul l’histoire de la Révolution française ? Des Allemands, les Sybel et les Schmidt.

Qui a débrouillé l’histoire grecque et l’histoire romaine, sinon les Mommsen et les Curtius ?

Je ne dis rien de la philosophie, rien de la musique : domaines allemands, — et je me borne à ces indications pour ne point répéter un ancien article de M. Barrès, dont le spirituel antipatriotisme jadis m’avait charmé.