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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/56

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JANVIER 1893

LES LIVRES

Les Chants de Maldoror, par le conte de Lautreamont, avec une lettre autographe de l' auteur, un frontispice de Joseph Roy, et une notice de Féditeur (L. Genonceaux). M. Romy de Gourmont devant consacrer à ce livre son prochain article, nous nous contenterons aujourd’hui de signaler cette l ' œuvre étrange, et de féliciter M. Léon Genonceaux de l’avoir ! remise en lumière et dans une édition si soignée. A. V. Poésies et poèmes en prose, par Ephraïm Mikhxel (un volume de la petite bibliothèque littéraire, cher Lemerre. Voici rassemblées en un livre, hélas posthume ! toutes les œuvres d’Ephraïm Mikhaël. Jamais la stupide immoralité des choses n’apparaît plus cruellement qu’aux heures mauvaises, où s’en vont ceux dont les lèvres mystérieuses hods révélaient les secrets du rêve et les agnificences cachées de la parole. Ici le deuil est plus tragique : car nul mieux que ce jeune homme de vingt-quatre ans n’a dit l’irrémédiable tristesse de vivre, la vanité de la joie et de la douleur, la double déception de l’esprit et de la chair, ni mieux rendu leur gloire primitive aux mots les plus simples, aux mots des petits enfants et des humbles, comme mauvais, saint, heuréux, doux :

Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes. 
Et pour avoir dormi sous de saintes étoiles. 
Rendit ses douces mains comme des fleurs de paix. 
Prés des nymphes riant dans les fleuves heureux.

C’est qu’il eut par dessus tout les deux dons merveilleux qui sacrent les poètes : celui de créer des personnages symboliques qui représentent en eux toute une partie d’humanité, et celui d’inventer des images qui rendent sensibles ces êtres de fiction. Et tous sont nés de sa parole évocatrice ; ils sont sortis à son appel des terres invisibles, tous, le Solitaire du parc clos aux voix du monde, la Dame en deuil éternellement incertaine entre le cilice et les baisers, le Mage incapable de haïr les barbares qui deviendront les héros des légendes futures, et la divine Etrangères lapidée par les femmes et les prostituées, en haine de l’amour des rêvés et des dieux et le Chevalier captif de la Magicienne.

Qui méprise la guerre à cause de la glotre


(t) Au prochain fascicule : La Gloire du Verbe (Pierre Quillard) ; Les Chants de Maldoror (comte de Lautréamont) Fleurs d’oisiveté (Charles Guinot) ; Les Vieux (Ernest Bosiers) ; Le Poème de la chair (Abel Pelletier) ; Les Psychoses (Arsène Reynaud) ; Un Simple (Edouard Estannié).