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AVRIL 1892

seils d’un chef à ses soldats, du Duc, ou roi de la Coquille, aux Coquillards ; conseils pratiques mis en rimes pour être mieux retenus et qu’en tel abri sûr, sans doute, on chantait en chœur. Cela n’a pas d’autre, valeur littéraire ; la versification en est bonne et soigneusement rythmée.

Bien plus intéressantes seraient les ballades VII à XI, si leur inauthenticité n’était évidente ; elles furent fabriquées entre 1874 et 1880, par un érudit facétieux qui se donna bien du mal pour de venir vainement faussaire, quand il aurait pu s’occuper utilement à interpréter le jargon jobelin qu’il semble avoir compris. M. Vitu se laissa duper à cette fraude, pourtant assez grossière, puisque, dès la première de ces ballades apocryphes, on découvre, non des vers, originaux, mais de véritables centons ; quatre vers de la première strophe de la ballade VII appartiennent presque textuellement à la ballade I. La question est maintenant jugée. On se souvient que l’Académie française se compromit étrangement en couronnant la ridicule élucubration de M. Vitu.

Ce petit volume de M. Pierre d’Alheim est à conserver et à joindre, au Villon que tout poète (non roman) possède, — en attendant l’édition nouvelle de ses œuvres que prépare M. Mahé et l’étude définitive que nous attendons de M. Marcel Schwob.

Récemment, dans La France, M. Sarcey écrivait : « Qui connaitrait Villon sans ce vers mélancolique, qui a passé proverbe ? Quelques rats de bibliothèques, grands rongeurs de bouquins. Son nom s’en est allé à la postérité, sur le frêle esquif de cette unique phrase : Mais où sont les neiges d’antan ? » Tel est bien l’état de l’opinion, représentée par le plus médiocre de ses porte-paroles. Pourtant, l’opinion se trompe et M. Sarcey aussi : la Postérité, ce n’est ni tel public, ni tel ramas de journalistes ignorants, glorieux de leur bassesse intellectuelle ; cette métaphore est le nom commun aux quelques hommes intelligents qui gardent encore notre civilisation de la barbarie totale. Que le père Coupe-toujours se rassure : il ne fait pas partie de ces quelques-uns, — et quant à François Villon, ses œuvres complètes sont arrivées à bon port et sa gloire aussi. Il demeure et demeurera le poète original, par excellence, de langue française, celui en lequel se résume et se grandit jusqu’au génie l’âme des peuples du moyen-âge, et aussi supérieur