Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/58

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comme vous, et non moins hardi et résolu. Je travaillai pour du pain et les années passèrent ; ah, cela n’aguerrit pas l’esprit, comme la main. J’allai vers le nord ; ma maison fut tranquille derrière la montagne, et le cercle du monde pour moi devint la paroisse. — Ma maison — monsieur Falk ! Oui, savez-vous ce que c’est qu’une maison ?

Falk

(bref). — Je ne l’ai jamais su.

Straamand. — Je le crois. Une maison, c’est là où il y a délicieusement place pour cinq, bien qu’entre ennemis ce serait trop étroit pour deux. Une maison, c’est là où toutes tes pensées peuvent jouer librement, comme des enfants sur les genoux du père, où ta voix ne frappe pas à la porte du cœur sans que la réponse ne fasse entendre un chant congénère. Une maison, c’est là où tes cheveux peuvent blanchir sans que personne remarque que tu vieillis, où de chers souvenirs vaguement répandent une lueur bleue, comme la montagne bleuit au-delà de la forêt.

Falk

(avec une ironie réprimée). — Vous vous exaltez —

Straamand. — Sachez, ce dont vous ne faites que rire ! Si différents notre Seigneur nous a créés. Il me manque ce dont vous avez le plus ; mais j’ai gagné, là où vous avez perdu. Vus du haut des nuages, paraissent comme une fable bien des grains de vérité dans la région des chemins de la terre ; vous voulez vous élever, et moi à peine jusqu’au faîte du toit, — un oiseau a été créé aigle —

Falk

. — Et l’autre poule.

Straamand. — Oui, riez, et prenons-le pour vrai. Je suis une poule ; — bien ; Mais sous mon aile j’ai une couvée, et vous n’avez personne ! Et j’ai de la poule le courage et le grand cœur et je frappe pour écarter de moi, quand il s’agit des miens. Je sais bien que vous me trouvez sot, il est possible que vous portiez un pire jugement, et me teniez pour avide des biens du monde ; — soit, aucun débat là-dessus entre nous ! (Il saisit le bras de Falk, et continue sans élever la voix, mais avec une force croissante.) Oui, je suis avide et sot, et obtus encore ; mais je suis avide pour ceux que Dieu m’a donnés, et je me suis abêti dans les cris de détresse, et je suis devenu obtus dans la mer de la solitude. Pourtant, à mesure que mon vaisseau de jeunesse, une voile après l’autre, s’enfonçait dans la houle sans fin, d’autres montaient de l’horizon sur le miroir de la mer