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MAI 1898

V

DU PAYS DE DENTELLES.

À Aubrey Beardsley.

Cette fâcheuse île laissée en arrière, le plan replié, je ramai encore six heures, les orteils dans mes ceps, la langue pendante de soif, car nous fussions morts d’avoir bu dans l’île, et Faustroll m’en écarta des secousses parallèles des deux cordes de sa barre, si perpendiculairement que, dans mon glissement rétrograde, je percevais juste entre mes yeux la continuité de sa fumée, au point qu’elle me fut masquée par les épaules du docteur. Bosse-de-Nage, eximé d’altération jusqu’à perdre couleur, ne jetait plus qu’une clarté blafarde.

Quand une lumière plus pure que celle-là fut séparée d’avec les ténèbres, et autrement qu’à la brutale naissance du monde.

Le roi des Dentelles l’étirait comme un cordier persuade sa ligne rétrograde, et les fils tremblaient un peu dans l’obscurité de l’air, comme ceux de la Vierge. Ils ourdirent des forêts, comme celles dont, sur les vitres, le givre compte les feuilles ; puis une madone et son Bambin dans de la neige de Noël ; et puis des joyaux, des paons, et des robes, qui s’entremêlaient comme la danse nagée des filles du Rhin. Les Beaux et les Belles se pavanèrent et rouèrent à l’imitation des éventails, jusqu’à ce que leur foule patiente se déconcerta dans un cri. De même que les junoniens blancs, juchés dans un parc, réclament avec discordance quand la menteuse intrusion d’un flambeau leur singe prématurément l’aube leur miroir, une forme candide s’arrondit dans la futaie de poix égratignée ; et comme Pierrot chante au brouillamini du pelotonnement de la lune, le paradoxe de jour mineur se