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MAI 1898

XII

DE L’ÎLE DE HER, DU CYCLOPE, ET DU GRAND CYGNE
QUI EST EN CRISTAL.

À Henri de Régnier.

L’île de Her, comme l’île de Ptyx, est d’une seule gemme, encorbellée de fortifications octogonales, et semblable au bassin d’une fontaine de jaspe. Le plan l’indiquait île de Herm, parce qu’elle est païenne et consacrée à Mercure ; et les gens du pays l’appelaient île de Hort, à cause des jardins magnifiques. Faustroll m’enseigna qu’il ne faut lire dans un nom que son antique et authentique racine, et que celle qui est la syllabe her, comme d’un arbre généalogique, vaut autant à dire que Seigneuriale.

La surface de l’île (il était naturel que les îles nous parussent çomme des lacs, en notre navigation de terre ferme) est d’eau immobile, comme d’un miroir ; et l’on ne conçoit pas qu’y glisse une barque, sinon comme un ricochet effleure ; car ce miroir ne réfléchit pas de rides, même siennes. Néanmoins y vogue un grand cygne, tel que la candeur d’une houppe à poudre, et quelquefois, sans s’interrompre de l’ambiant silence, il bat des ailes. Quand le vol de l’éventail se fait assez rapide, à travers sa transparence on découvre toute l’île, et il s’épanouit comme un jet d’eau pavonne.

Il n’y a pas d’exemple que les jardiniers de l’île de Her aient laissé redescendre un jet d’eau sur le bassin, dont il dépolirait la surface ; les touffes s’étendent à quelque hauteur en nappe horizontale comme des nuages ; et les deux miroirs parallèles du sol et du ciel sauvegardent comme deux aimants éternellement face à face leur réciproque vacuité.