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Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/605

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IV

LE VOYAGE


« J’ai déjà exposé, jeudi dernier, à quelques-uns d’entre vous, les principes de ma machine pour voyager dans le Temps, et je vous l’ai montrée telle qu’elle était mais inachevée et sur le métier. Elle y est encore maintenant, quelque peu fatiguée par le voyage, à vrai dire ; l’une des barres d’ivoire est fendue, et une traverse de cuivre est faussée ; mais le reste est encore assez solide. Je pensais l’avoir terminée le vendredi ; mais vendredi, quand le montage fut presque fini, je m’aperçus qu’un des barreaux de nickel était trop court d’un pouce exactement, et je dus le refaire, de sorte que la machine ne fut entièrement achevée que ce matin. C’est donc aujourd’hui à dix heures que la première de toutes les machines de ce genre commença sa carrière. Je l’examinai une dernière fois, m’assurai de la solidité des écrous, mis encore une goutte d’huile à la tringle de quartz et m’installai sur la selle. Je suppose que celui qui va se suicider et qui tient contre son crâne un pistolet doit éprouver comme je l’éprouvai alors le même sentiment de curiosité pour ce qui va se passer immédiatement après. Je pris dans une main le levier de mise en train et dans l’autre le levier d’arrêt — j’appuyai sur le premier et presque immédiatement sur le second. Je crus chanceler, puis j’eus une sensation de chute comme dans un cauchemar. Alors, regardant autour de moi, je vis mon laboratoire tel qu’à l’ordinaire. S’était-il passé quelque chose ? Pour un moment je soupçonnai mon intellect de m’avoir joué quelque tour, Je remarquai alors la pendule ; le moment d’avant elle marquait, m’avait-il semblé, une minute ou deux après dix heures ; maintenant l’était presque trois heures et demie !