Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/608

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chine, dont je ne pouvais m’expliquer la cause. Mais mon esprit était trop confus pour y faire grande attention, si bien qu’avec une sorte de folie croissante je me lançais dans l’avenir. D’abord, à peine pensai-je à m’arrêter, à peine pensai-je à autre chose qu’à ces sensations nouvelles. Mais bientôt une autre série d’impressions me vint à l’esprit — une certaine curiosité et avec elle une certaine crainte — jusqu’à ce qu’enfin elles se fussent complètement emparées de moi. Quels étranges développements de l’humanité, quelles merveilleuses avances sur notre civilisation rudimentaire n’allais-je pas apercevoir quand j’en arriverais à regarder de près ce monde vague et illusoire qui se déroulait et ondoyait devant mes yeux ! Je voyais des monuments d’une grande et splendide architecture s’élever autour de moi, plus massifs qu’aucun des édifices de notre époque, et cependant, me semblait-il, bâtis de brume et de faible clarté. Je vis un vert plus riche s’étendre sur la colline et demeurer là sans aucun intervalle d’hiver. Même à travers le voile qui me confondait les choses, la terre semblait très belle. Et de cette façon, l’idée me vint d’arrêter la machine.

« Le risque que je courais était la possibilité de trouver quelque nouvel objet à la place que moi et la machine occupions. Aussi longtemps que je voyageais à toute vitesse, cela importait fort peu. J’étais pour ainsi dire atténué — je glissais comme une vapeur à travers les interstices des substances interposées ! Mais s’arrêter impliquait peut-être mon écrasement, molécule par molécule, dans ce qui pouvait se trouver sur mon passage, comportait un contact si intime de mes atomes avec ceux de l’obstacle qu’il en résulterait une profonde réaction chimique — peut-être une explosion formidable, qui m’enverrait, mon appareil et moi, hors de toute dimension possible…