Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/629

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rideaux poussiéreux, dont je vous ai déjà parlé.

« Là, je trouvai une seconde grande salle couverte de coussins, sur lesquels une vingtaine environ des petits êtres dormaient. Je suis sûr qu’ils trouvèrent ma seconde façon d’apparaître assez étrange, surgissant tout à coup des ténèbres paisibles avec des bruits inarticulés et le craquement et la flamme soudaine d’une allumette. Car ils ne savaient plus ce que c’était que des allumettes. — Où est la Machine ? commençai-je, braillant comme un enfant en colère, les prenant et les secouant tour à tour. Cela dut leur sembler fort drôle. Quelques-uns rirent, la plupart semblaient douloureusement effrayés. Quand je les vis qui m’entouraient, il me vint à l’esprit que je faisais une chose aussi sotte que je pouvais la faire dans ces circonstances, en essayant de faire revivre chez eux la sensation de peur. Car, raisonnant d’après leur façon d’être pendant le jour, je supposais que la peur était oubliée.

« Brusquement, je jetai l’allumette et, heurtant quelqu’un dans ma course, je sortis en courant à travers la grande salle à manger jusque dehors sous la clarté lunaire. J’entendis des cris de terreur et leurs petits pieds courir et trébucher de-ci de-là. Je ne me rappelle pas tout ce que j’ai pu faire pendant que la lune parcourait le ciel. Je suppose que c’était la nature imprévue de ma perte qui m’affolait. Je me sentais sans espoir séparé de ceux de mon espèce — étrange animal dans un monde inconnu. Je dus sans doute errer en divaguant, criant et vociférant contre Dieu et le Destin. J’ai souvenir d’une horrible fatigue, tandis que la longue nuit de désespoir s’écoulait ; je me rappelle avoir cherché dans tel ou tel impossible endroit ; tâtonné parmi les ruines et touché d’étranges créatures dans l’obscurité noire ; et à la fin m’être étendu près du sphinx et avoir pleuré mi-