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L’ENFANT MALADE

res, onze heures, la Douleur habite votre cerveau, votre mâchoire, vos tempes et votre sang. Vous n’êtes plus vous, cet enfant aux regards et aux idées, car la Douleur vous bouche les yeux et remplace vos idées. Et midi, en vous offrant ses bons plats de campagne, vous fait souffrir encore. Enfin l’après-midi s’étend comme une plaine de sable où l’on est perdu avec l’Ennui, avec le Soir et avec la Mort.

Et le médecin revint. C’était un gros bourgeois de province qui mangeait, chassait et buvait et visitait les malades avec un vieux reste de science qu’il apporta de Paris. Brave homme et bon cœur, qui s’apitoyait comme un ignorant et disait : « Pauvre petit bougre ! » Du reste il n’osait pas pratiquer d’opération chirurgicale, par crainte de faire souffrir le pauvre monde. Je pense que c’est surtout parce qu’il n’était pas sûr de lui-même. Il ne comprit jamais rien à ma maladie. Son savoir fut épuisé lorsque, après la pommade, quelques remèdes amers et dépuratifs me fatiguèrent bien plus.

Je m’affaiblissais chaque jour. Vous voyez un enfant dont le corps s’en va, qui sent partir sa chair et dont l’âme anime seulement quelques tissus frêles et qui dépériront encore. Il y a des pommettes pointues, des mains translucides et osseuses, et sous ses habits il y a douze côtes saillantes qui semblent l’intérieur d’une maison de misère. Cependant que cette grosseur de la joue grossit, s’accroît de tous les malheurs d’alentour et veut demeurer à jamais, comme un parasite installé chez un pauvre homme.

Le médecin alors se tourna du côté de la chirurgie qu’il n’aimait guère, mais il fallait me sauver. Il feuilleta des livres, car il avait de la bonté, si bien qu’un matin il osa faire une incision. Et la souf-