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que ; mais la logique étant elle-même un tissu intellectuel, ses complaisances sont presque infinies. Véritablement l'association et la dissociation des idées (ou des images : l'idée n'est qu'une image usée) évoluent selon des méandres qu'il est impossible de déterminer et dont il est difficile même de suivre la direction générale. Il n'est pas d'idées si éloignées, d'images si hétéroclites que l'aisance dans l'association ne puisse joindre au moins pour un instant. Victor Hugo, voyant un câble qu'on entoure de chiffons à l'endroit où il porte une arête vive, voit en même temps les genoux des tragédiennes du cinquième acte[1] ; et ces deux choses si loin, un cordage amarré sur un rocher et les genoux d'une actrice se trouvent, le temps de notre lecture, évoquées dans un parallèle qui nous séduit parce que les genoux et la corde, les uns en dessus, l'autre en dessous, au pli, sont également « fourrés »[2], parce que le coude que fait un câble ainsi jeté ressemble assez à une jambe pliée, parce que la situation de Giliatt est parfaitement tragique et enfin parce que, tout en percevant la logique de ces rapprochements, nous en percevons, non moins bien, la délicieuse absurdité.

De telles associations sont nécessairement des plus fugitives, à moins que la langue ne les adopte et n'en fasse un de ces tropes dont elle aime à s'enrichir ; il ne faudrait pas être surpris que ce pli d'un câble s'appelât le « genou » du câble. En tout cas les deux images restent prêtes à divorcer ; le

  1. Les Travailleurs de la mer, IIe partie, livre Ier, vii.
  2. Terme technique.