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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

que l’autre, ayant hérité d’une maison déserte et d’un pantalon d’assassin. Et il se redressait, pris d’un respect pour lui-même, en homme qui a trouvé sa voie. Les paniers de jonc ne rapportent guère, les champignons ne durent pas et les oiseaux sont singulièrement méfiants. Le rat des champs fournit un mauvais rôti, dégageant, à la cuisson, une fétide odeur de musc… Tandis que la grenouille… c’est comme du poulet ! Un vrai régal d’amateur ! Il voyait, en un songe béat, les petites cuisses blanches alignées sur la brochette de noisetier, se dorant au feu et tournant avec la docilité de petits pantins, vaguement fantômes. Il en mangerait beaucoup et vendrait le reste. Enfin, il dépeuplerait le pays de ses bestioles énervantes, dont les chansons, moitié prières, moitié jurons, litanies d’hystériques, obsédaient affreusement sa mémoire.

… Chaque jour Toniot quitte sa maison où le vent d’hiver a fait des ravages, a emporté la porte et une partie du toit. Ce n’est plus sa maison d’héritage, c’est sa ruine. Il vit là dedans comme un oiseau de nuit s’engouffre à la suite des tempêtes dans le trou d’un vieux mur ou d’un rocher. Il a perdu le goût de la lumière et celui du pain. Il ne secoue sa somnolence qu’au premier appel des grenouilles. Alors il s’étire à quatre pattes, sauvage sur le sentier de la guerre, flairant le vent. Il rampe, il renifle, il hume les senteurs de la forêt que la tendresse du matin mouille de ses larmes. Si c’est l’automne, cela sent le romarin, le genévrier et le gland de chêne qui sèche en exhalant de petits jets d’amertume. Si c’est le printemps cela sent la sauge, le sureau, et l’églantier tout entier épanoui.

Ou les bêtes commencent à fuir, ou elles se mêlent éperdument.