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LE POUVOIR RELIGIEUX AU THIBET

tre, parmi les enfants venus au monde dans le délai canonique, celui en qui s’est réincarné l’esprit (en thibétain, le Prulba ; le terme n’est pas absolument équivalent de Chenrési). Des cérémonies magiques répétées, la consultation des génies, l’examen des signes spéciaux que portent les nouveau-nés, sans oublier les avis impératifs des mandataires de la Chine et ceux de la coterie la plus influente de la Cour lamaïque, finissent par découvrir l’heureuse famille que le bodhisatva a honorée en l’un des siens.

L’enfant est alors transporté, en grande pompe, dans le monastère de Ri-rgyal-po-bran, où il demeure, avec ses parents jusqu’à l’âge de quatre ans. À cette époque, ceux-ci sont congédiés et la petite divinité, qui leur est définitivement enlevée, fait son entrée solennelle au couvent de Potala, où elle commence son noviciat. À sept ans le jeune garçon est moine profès et abbé de Potala.

Astreints à de longues heures d’étude, à une discipline sévère, les pauvres enfants-idoles traînent, le plus souvent, des jours misérables au milieu des manifestations de religieux respect dont ils sont entourés. Autour d’eux les compétitions des hauts dignitaires ecclésiastiques, les luttes perpétuelles d’une foule d’intérêts rivaux font, de leur royale demeure, aux colonnades et aux coupoles d’or, un lieu troublé et sans grande sécurité pour leur auguste personne… Les « Précieuses Majestés » (Gyelva Rinpoche) atteignent, paraît-il, rarement l’âge adulte… Le Dalaï-Lama actuel fait cependant exception. Renversant les rôles, il passe pour avoir empoisonné le régent qui gouverna pendant sa minorité.

§

Malgré son caractère tout à fait particulier, la Cour de Lhassa n’est pas le majeur sujet d’intérêt présenté par le « Pays des Neiges ». Ce qui mérite de retenir notre attention, c’est la mentalité, unique au monde, d’un peuple où la moitié, peut-être, de la population mâle appartient au sacerdoce.