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LE POUVOIR RELIGIEUX AU THIBET

mœurs thibétaines un caractère tout à fait spécial qu’on chercherait vainement ailleurs. Tant par tendance naturelle que sous l’influence de leur nombreux clergé, les habitants du « Pays des Neiges » se sont créé une quantité prodigieuse de sujets de dévotion. Toute leur vie est enveloppée d’une atmosphère de religiosité sans égale. Les nuages, le vent, les montagnes, les lacs leur parlent de personnages fantastiques toujours prêts à intervenir dans les affaires des hommes. Leurs voyages sont de perpétuels pèlerinages et, lors même que le négoce en est le seul but, la caravane ne manque pas de marquer chaque étape, chaque tournant de route, chaque sommet, laissés derrière elle en y plantant une banderole de prière couverte d’inscriptions magiques, en gravant sur un rocher un symbole mystique, un charme, une évocation !… Les plus arides solitudes thibétaines, les cols les plus élevés, les sentiers où seules les brebis ont le pied assez sûr pour servir de bêtes de charge sont ainsi jalonnés de figures étranges, de formules mystérieuses, de lambeaux multicolores que le vent effiloche et que la piété des fidèles renouvelle sans cesse, afin qu’à chaque claquement de l’étoffe qui s’agite des dhâranîs puissantes s’envolent dans l’espace.

C’est à travers ce pays peuplé de dieux et de magiciens que s’est aventurée la petite caravane anglaise. Sous les regards hostiles des vieux génies embusqués sur son passage, elle a traversé les régions enchantées où la bise répète des paroles magiques, où, sur les pierres des chemins, des charmes sont gravés… Tandis qu’elle s’acheminait ainsi vers les demeures des idoles vivantes, d’innombrables sortilèges ont dû, certainement, être jetés sur elle pour arrêter ses pas ou lui fermer le chemin du retour. La longueur du voyage, le dur climat de ces hautes altitudes faciliteront, sans doute, beaucoup leur œuvre et serviront les colères des dévots alarmés. Dans les froides solitudes thibétaines, plus d’un soldat d’Albion restera à jamais étendu, victime expiatoire aux divinités courroucées dont il viola l’empire. Mais la légende est