Page:Mercure de France - 1914-06-16, tome 109, n° 408.djvu/124

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croisées sur la poitrine ; de sa bouche entr’ouverte sortait » un faible ronflement.

L’occasion était trop belle. Ils se dirent vite : « On lui réglera son compte plus tard : contentons-nous pour le moment de l’empêcher de se défendre. » Trois hommes à la fois lui sautèrent dessus, l’un l’empoignant par le cou, l’autre par le bras, le troisième par les jambes ; on leur tendit des cordes, ; une bousculade se fit : déjà Branchu avait été tiré hors de sa cachette, et, tandis qu’un des hommes le main tenait sous son genou, les autres lui attachaient les mains et les pieds. Ainsi il fut solidement ligotté ; même un bout de la corde lui fut passé autour du cou, à quoi on fit un nœud coulant : au moindre mouvement il aurait été étranglé.

Mais il ne semblait nullement penser à s’enfuir, ni à se défendre : il ne s’était même point débattu ; et, couché maintenant sur le dos, dans la neige, les bras noués à la ceinture, il regardait autour de lui en souriant.

Pour eux, qui le tenaient, ils ne s’en inquiétaient guère. Qu’il sourît, ou non, qu’il eût cette figure-là, ou une autre, peu nous importe, l’important est qu’on l’ait pris. Une grosse gaieté leur venait tout à coup, comme il arrive, le péril une fois écarté ; ils se pressaient autour de l’homme, se moquant de lui bruyamment ; ils disaient : « Il faut que ce soit beau, on va lui faire cortège. Communier, tu n’es plus le chef, laisse-lui le commandement ! » Et voilà qu’ils se rangeaient déjà deux par deux sur le chemin, qui passait dans le bas du pré. Un vide fut laissé au milieu de la colonne, on apporta Branchu, voilà bien où était sa place, parce que, nous qui allons devant, nous sommes là pour l’annoncer, et ceux qui viennent derrière lui font escorte, comme à un Roi.

Roi de malheur, on t’a en notre pouvoir maintenant ! On l’apporta, ils éclataient de rire, on voyait ce paquet levé qu’on se passait à bout de bras, puis deux des plus forts l’assirent sur leurs épaules, vu qu’il ne pouvait plus marcher.

Il fut là comme sur un trône, qui est bien la place d’un Roi. Puis le cortège se mit en route. Ils allaient deux par deux sur le chemin pas encore battu, mais où, à cause de leur nombre, ils s’ouvraient sans peine passage ; au-dessus de leurs têtes, leurs bâtons se dressaient, et les canons de leurs fusils ; des cris, des rires montaient de la colonne ; des plaisanteries