Page:Mercure de France - 1914-07-16, tome 110, n° 410.djvu/17

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rel d’une œuvre destinée à rabaisser l’orgueil, à montrer l’impossibilité où nous sommes de tout connaître et de tout comprendre — que toutes choses sont incertaines et variables, que les systèmes se détruisent les uns les autres, que la vérité d’aujourd’hui est erreur demain, et « contient en proportions inconnues des parts de vrai comme de faux ».

§.

La « copie » de Bouvard et Pécuchet ne pouvait, d’ailleurs, dans sa sécheresse et sans que l’équilibre du roman en souffrît gravement, composer à elle seule tout un volume aussi long que la partie achevée[1].

Peut-on sérieusement penser que Flaubert ait songé à donner 300 à 400 pages de citations comme second volume, — et, ce faisant, à laisser porter au premier toute l’affabulation du roman, tandis que le second ne fût venu que comme une sorte d’annexe, d’appendice, un recueil de pièces justificatives tendant à prouver — quoi ? au surplus, que nous n’ayons déjà découvert en lisant le premier tome ?

Lui, dont les livres décèlent un soin sans égal non seulement dans l’écriture et dans l’expression, mais encore dans l’agencement et dans la composition — lui dont les œuvres sont si bien balancées, en intérêt comme en proportions, lui qui sacrifia sans hésiter jamais les plus beaux effets de style, par crainte qu’ils ne fissent « longueur » — comment penser un seul instant qu’il eût, de propos délibéré, fait litière de ses idées les plus chères, foulé aux pieds toutes les théories qui lui tenaient tant à cœur ?

Ou la phrase : « mon second volume est fait aux trois quarts et ne sera presque composé que de citations » est une exagération d’auteur, qui, oubliant ses efforts passés et les chapitres

  1. Cette partie entièrement rédigée remplit 394 pages in-12 de la première édition (Lemerre, 1881), 485 pages de la réimpression, dans la « Petite Bibliothèque Littéraire (Lemerre, petit in-12), pages dans la « Collection Charpentier », et 391 dans l’Edition Conard (grand in-16) — auxquelles il faut ajouter une trentaine de pages, au bas mot, qu’aurait fournies le développement du scénario — tout cela avant d’aborder la copie, soit en tout 420 à 430 Pages in-12,. pour le premier volume.

    A relire de près le scénario, il parait en effet bien impossible que Flaubert ait pu en condenser la matière en moins de trente pages. Bien qu’il ne porte pas de divisions de chapitres nettement indignées, de par ses divisions logiques ce plan non développé en devait fournir deux ou trois : la conférence — les démêlés avec les gendarmes, et les chavignollais — et enfin la constatation que « tout leur ayant craqué d’ans la main » Bouvard et Pécuchet n’ont plus qu’à « copier comme autrefois ». Trente pages sont donc un minimum probablement très inférieur à la vérité.