Page:Mercure de France - 1er juillet 1914, tome 110, n° 409.djvu/103

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avaient la tête enveloppée dans des linges, et, parce que le mal commençait d’envahir leurs mains, ils les tenaient cachées dans les manches de leurs habits. On décida de retourner chez le curé.

Ils nommèrent une espèce de délégation dont faisaient partie le grand Communier, le président et le plus âgé des habitants de la commune, un petit vieux nommé Jean-Pierre, qui était connu pour sa piété.

Ils firent un contour de façon à ne pas passer devant l’auberge. Ils trouvèrent le curé dans sa chambre, où il s’enfermait, lui aussi. Il y avait plus de désordre que jamais dans cette chambre un air plus malsain que jamais, et ils furent très mal accueillis. Car, se levant de dedans le fauteuil délabré où il se tenait, à peine les eut-il vus entrer, qu’il se mit à hausser la voix :

— Ah ! c’est vous, cria-t-il, je m’attendais à vous voir venir !

Il rit très fort.

— Mais vous venez trop tard, je vous l’avais bien dit. Et il faut maintenant laisser la punition se faire, parce qu’on ne va pas contre la punition.

Le grand Communier dit alors :

— C’est que nous voilà, monsieur le curé, dans une telle situation qu’on ne va pas pouvoir durer de la sorte plus longtemps… Cet homme ne nous lâche plus.

— Quel homme ?… Ah ! c’est vrai que vous y croyez ! (Le curé haussa les épaules.) Eh bien, s’il ne s’agit que de lui, laissez moi faire. La cure n’est pas si loin de l’auberge, et j’ai la chance d’avoir un bon fusil…

Mais ils regardaient à terre, sans rien dire ; enfin le grand Communier sourdement :

— S’il pouvait mourir, monsieur le curé, il y a longtemps déjà qu’il serait mort… Mais il ne peut pas mourir…

Il soupira. Et on entendit alors le vieux Jean-Pierre qui disait (et il avait une toute petite claire voix d’enfant, seulement un peu tremblotée) :

— Non, c’est vrai, il ne peut pas mourir, parce qu’il n’est pas de notre espèce. Mais nous n’avons pas perdu confiance, attendu qu’il nous reste encore Quelqu’un… Alors, monsieur le curé, on voudrait vous demander que nous allions Le prier tous ensemble : il nous entendra mieux si c’est ensemble qu’on