Page:Mercure de France - 1er juillet 1914, tome 110, n° 409.djvu/118

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terre et l’ostensoir gisait à terre, vide son hostie, derrière le verre brisé.

Mais ils ne s’en sentirent que plus en train. Le garçon monté sur l’autel avait sorti des allumettes de sa poche et les frottait contre son pantalon. Une première petite flamme se mit à trembloter en haut de la hampe de cire couverte d’ornements dorés ; bientôt toute la herse fut en feu. Et ils voulurent allumer aussi la petite lampe de l’adoration perpétuelle, symbole de l’Esprit qui veille parmi nous ; elle pendait à une chaînette qui descendait du sommet de la voûte ; elle ne prit pas, quoi qu’ils fissent ; pourtant l’huile ne manquait point. Alors ils la lancèrent de toutes leurs forces contre les dalles et ils en piétinaient les morceaux.

— Ça va bien ! cria Criblet.

Il était là et regardait, appuyé à une colonne :

— Moi, dit-il, je suis désintéressé. Celui qui m’a mis au monde (et qui c’est, je ne sais pas trop, mais il faut bien que ce soit quelqu’un), ce quelqu’un-là a dit à l’un : « Toi tu seras jardinier », à l’autre : « Tu seras empereur », à un autre :. « Tu seras mendiant » ; quand mon tour à moi est venu, il n’a pas su que me dire, il m’a dit : « Tu seras Criblet : les autres feront, tu regarderas. » Et pour que je ne m’ennuie pas il m’a donné une bouteille…

Tout de suite il la montra, cette bouteille, n’ayant eu pour cela qu’a glisser la main sous son habit, et, la levant en l’air, il renversa la tête. On entendit un bruit comme quand un bassin de fontaine se vide ; Mais on avait déjà commencé à danser. Ils avaient jeté en tas les chaises dans une des chapelles, la place ne manquait plus. Tout allait bien, sauf que la musique à bouche de Labre ne faisait pas assez de bruit. C’est de ces petits instruments de poche, bons tout au plus à faire tourner un couple ou deux dans une cuisine (les soirs d’hiver, le dimanche après-midi, les jours que c’est fête, et garçons et filles se réunissent en cachette), mais dans cette grande nef, avec des voûtes d’une hauteur pareille, rien à faire : on n’entendait pas. On vit Gentizon se glisser dehors,. « Plus fort ! » criait-on. Labre dit : « Je souffle à me crever les joues ! » On haussa les épaules, on ne dansait plus. Seulement Gentizon reparaissait déjà, et il fut accueilli par des cris de joie et des battements de mains, parce qu’il n’était pas seul. Il avait avec lui un pe-