Page:Mercure de France - 1er juillet 1914, tome 110, n° 409.djvu/98

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mesure les ruines, et remplit les vides à mesure ; un grand courage lui venait, parce qu’elle avait tout accepté.

Elle embrassa de nouveau sa fille. La petite Marie ne demandait plus rien. Est-ce que vraiment elle ne s’était pas doutée de quelque chose ? On lui avait dit que son père était parti pour un grand voyage, maintenant elles allaient partir, elles aussi, pourtant elle restait confiante ; c’est peut-être simplement que là aussi l’amour opère et le vrai miracle est l’amour.

Elles se turent, elles étaient bien. C’est étonnant le peu de bruit qu’il y a dans le village ; il semble vide, le village. Mais Adèle maintenant y vivait en étrangère : à peine savait-elle ce qui s’était passé.

Elles eurent vite fait de tout préparer pour le départ ; le lendemain au petit jour le mulet attendait déjà devant la porte.

Dans un sac de toile grise étaient leurs provisions, dans un autre sac leurs habits ; elles les fixèrent au moyen de cordes ; en haut du bât, les pieds en l’air, elles attachèrent la marmite, puis elles fermèrent la porte à clef.

Il faut bien regarder encore un peu notre maison : Dieu sait quand on y rentrera. Adèle avait les larmes aux yeux.

— Ne pleure pas, maman, dit Marie.

Adèle sortit son mouchoir, puis prit le mulet par le mors, et elles se mirent en route.

Elles avaient à traverser toute une bonne moitié du village ; elles ne rencontrèrent personne. C’était l’heure pourtant où les gens sortent de chez eux, étant pressés de sentir l’air ; personne dehors, ce matin-là. Elles allèrent. Elles furent vite dans les champs. Le chemin se mit à monter. Devant elles, se dressaient des bois, et le mulet allait sagement sous son bât, entre les haies lourdes de neige, d’où on voyait de temps en temps un drôle de gros oiseau, à tête rouge, s’envoler.


2

L’Homme avait été se loger à l’auberge, que Simon, sa femme et toute la famille avaient quittée en grande hâte rien qu’en le voyant s’approcher.

Il eut ainsi à sa disposition quatre chambres, outre la salle à boire, une grande cuisine et la cave, qui était pleine, vu que les achats annuels ne se font qu’après la vendange.