Page:Mercure de France - 1er juin 1914, Tome 109, n° 407.djvu/118

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taient jamais trop doux, et moi je disais non, mais tu m’as fait pitié, quand tu venais la nuit pleurer sous ma fenêtre, et il m’a bien fallu céder. Et maintenant c’est toi qui ne veux plus de moi. Comme tu es quand même injuste !…

Il répondit :

— Fous-moi la paix ! Regarde le temps que tu perds, quand rien ne va dans le ménage. Empoigne-moi ce balai, je te dis, et plus vite que ça, sans quoi !

Et il leva la main sur elle. Alors les enfants se mirent à pleurer.

Cela l’irrita davantage encore :

— Taisez-vous, disait-il.

Mais les cris redoublaient à mesure qu’il criait plus fort.

C’est l’enfer dans cette maison, on entend le petit Henri qui supplie son père : « Papa, s’il te plaît, ne me fais point de mal ! Papa, papa, ne me bats pas ! » et il se traîne à genoux dans la cuisine, mais l’autre ne peut plus l’entendre, parce que sa colère le rend sourd et aveugle à tout : il tape sur le petit Henri comme il a tapé sur sa femme, et tout le village le sait, à cause de ces cris qui viennent, jusqu’à ce qu’un coup de vent passe et alors tout est emporté. Seulement le vent tombe de nouveau et la petite voix de nouveau sort de dedans l’ombre, et se lamente de nouveau, et de temps en temps un sanglot l’étrangle, tandis qu’elle se meurt en une longue plainte, comme celle du vent lui-même, quand il s’engage entre deux poutres ou il souffle au trou d’un mur.


2

Lude sortit ce soir-là sans savoir pourquoi, ni où il irait, mais un besoin de bouger l’avait pris et, comme sa femme lui demandait s’il rentrerait bientôt, il répondit : « Est-ce que ça te regarde ? »

Elle fut étonnée, parce que son mari l’aimait bien, mais dans ce ménage aussi, depuis quelque temps, tout était changé, l’homme ne parlant plus, et passant toutes ses soirées les bras croisés, devant le feu, sans dire un mot, comme noyé dans ses pensées.

Quelque chose le travaillait, et il ne savait pas bien quoi, mais c’est un poids intérieur dont on voudrait bien se débarrasser : alors on part droit devant soi comme la bête trop