Page:Mercure de France - 1er juin 1914, Tome 109, n° 407.djvu/126

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C’est ainsi que quand Luc parla de faire venir le docteur, les femmes secouèrent la tête.

— Mon pauvre Luc, y penses-tu ? Le docteur n’y pourra rien et ça te coûtera tout de suite dans vingt francs !

Il vit sans doute qu’elles avaient raison : il n’insista pas, Il approcha un tabouret de la table, il s’y assit, les bras croisés.

Et celle qui était sur la table continuait d’être immobile, avec sa vieille figure en bois, ses lèvres tirées et pincées, son grand nez crochu, ses yeux enfoncés, et sous sa tête à bonnet blanc, un coussin recouvert d’une étoffe à carreaux. Elle ne respirait plus, autant dire, tant était incertain le mouvement de va et vient qui lui soulevait la poitrine, et le cœur est-ce qu’il battait ? on ne le sentait plus battre en tout cas. Pourtant quelque chose disait qu’elle continuait de vivre, et là était l’angoissant de la chose, la contradiction qu’on sentait entre ce corps qui restait chaud et cette raideur, comme à un cadavre.

Les gens entraient, sortaient, certains parlaient un peu d’autres ne disaient rien du tout ; qu’ils parlassent ou non, cela revenait tout à fait au même. Et Lhôte n’avait toujours pas bougé. Ainsi un long temps se passa, déjà on sentait que le soir venait. Les gros souliers à semelles de bois continuaient de claquer sur le perron et la porte d’être poussée ; il neigeotait, il faisait gris et une odeur de drap mouillé flottait pesamment sous le plafond bas.

A un moment donné, quatre heures sonnèrent ; la porte s’ouvrit une fois de plus, Branchu entra.

On ne s’étonna point de le voir, parce qu’on le savait lié d’amitié avec Lhôte ; on s’écarta pour le laisser passer.

Il s’avança jusqu’à la table où la vieille était, et Lhôte près d’elle ; il posa la main sur l’épaule de Lhôte, Lhôte leva la tête, le regardant de ses yeux troubles, sans paraître comprendre ce qu’on lui voulait.

— Lhôte, dit Branchu, tu ne me reconnais pas ?

Il fit signe que oui, puis laissa retomber sa tête : un grand silence était venu.

Alors on vit Branchu se tourner vers la vieille, et il prit sa main qui était posée à côté d’elle sur la table, et il souleva cette main qu’il garda un moment entre ses doigts, puis la remit où elle était.