Page:Mercure de France - 1er juin 1914, Tome 109, n° 407.djvu/99

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ayant servi les derniers survenus, avait été s’asseoir, lui aussi, à une des tables et s’était mis à boire, lui aussi,

Bientôt on ne s’entendit plus, parce que le ton des voix peu à peu s’était élevé. On discutait maintenant, on se disputait presque ; de temps en temps, quelqu’un donnait un coup de poing sur la table, à la suite de quoi venait un silence, puis le bruit recommençait.

L’homme profita d’un de ces silences : « Pardon, Messieurs ! » dit-il et tout le monde se retourna.

Alors on vit qu’on l’avait oublié, qui reparut brusquement devant vous, et n’avait point quitté sa place, où était : sa chopine et son assiette vides, et lui se tenait accoudé devant. Il y eut de l’étonnement, et toutes les bouches s’ouvrirent. Mais lui n’en parut nullement troublé, ni de les voir tous se tourner vers lui : et, portant bonnement la main à son chapeau, c’est sans hâte qu’il répondit :

— Excusez-moi si je vous dérange, mais c’est que j’aurais un petit renseignement à vous demander.

On voyait qu’il savait vivre. Et la gène fut plutôt pour eux, d’où ils ne seraient point sortis peut-être, si Lhôte, le maréchal ferrant, n’eût été là, parce qu’heureusement plus alluré qu’eux tous et plus adroit à s’exprimer, et en ayant plus l’habitude.

— Dites seulement, et on verra bien si on peut vous le donner, le renseignement.

L’homme ne bougeait toujours pas.

— Je vous remercie bien, dit-il.

Puis il parut réfléchir :

— C’est que voilà, reprit-il, ça va peut-être vous surprendre. Je viens de loin, vous comprenez, et vous ne me connaissez pas. On a été si longtemps. par les routes qu’on ne se rappelle même plus tous les pays par où on a passé. Et d’ordinaire, quand j’arrive dans un endroit, c’est pour repartir tout de suite. Mais, ce soir, comme je montais chez vous, je ne sais pas ce qui m’a pris : est-ce vos beaux vergers d’en bas, le temps, vos champs de blé, vos vignes ? ou bien simplement que vous m’avez plu : mais voilà que je me suis dit : Si tu te reposais un peu ? Tu as assez couru comme ça, tu commences à t’essouffler, tu prends de l’âge. Pourquoi ne t’arran-