Page:Mercure de France - Juillet 1908, Tome 74, n° 266.djvu/75

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d’herbe se dessèche, où ni le cèdre, ni le pin ne peuvent vivre, parmi les rochers il cherchait le mystère de la vie.

Il entrait dans les cavernes barricadées qui étaient les tombeaux des hommes du désert, et il contemplait longuement les cadavres qui y gisaient.

Les corps desséchés des vieillards centenaires, chrétiens et hérétiques, étaient intacts et non atteints par la pourriture. Leurs mains sèches et fortement jointes serraient leurs croix de bois. La feuille de palme qui leur servait de manteau s’était émiettée et éparpillée. Ils étaient couchés nus. Ils semblaient dormir en souriant aux visions de leurs âmes.

Pendant des centaines d’années, ces hommes immortels vivaient dans les tanières rocheuses. Le fruit de palmier fut leur nourriture, l’eau leur breuvage. Ils ne prenaient de nourriture qu’autant que la dépense des forces fût égale à leur revenu, et ils atteignaient cette perfection en n’introduisant dans leurs corps rien de ce qui pourrit et qui appartient déjà à la mort. Ils ne mangeaient pas la chair des bêtes tuées, et ils ne buvaient pas les boissons fermentées. Ils éliminaient toute pourriture de leurs veines par un labeur incessant. Et elle en sortait avec la sueur qui inondait leurs épaules, leurs bras et leurs fronts. Ils puisaient la force de la vie dans les rayons vivifiants du soleil, dans la clarté de l’air, dans l’odeur des herbes. Leurs corps étaient aussi purs que leurs âmes. Les jeûnes fréquents et longs, plus longs d’un jour à l’autre, les faisaient indépendants et intacts. C’est pourquoi ils résistèrent à la mort.

Dioclès, en quittant le pays rouge du désert, et en rentrant dans les jardins parfumés d’Égypte, sentait qu’il était au milieu d’eux tel un nouveau venu d’une terre étrangère…

Et comme un jour il marchait seul et allait franchir le seuil de sa maison, un fellah, pauvre laboureur, lui barra la route en disant :

— Ma fille, que tu avais prise dans ma cabane pour la conduire dans ton lit a accouché d’un enfant.

Dioclès s’arrêta devant la porte. Au fond de son âme il disait :

— Voici la tentation du démon…

Et au paysan il dit :

— Je ne veux pas voir le nouveau-né. Je veux être seul,