Page:Mercure de France - Mars 1908, Tome 72.djvu/161

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un bon tiers de son œuvre fut de publication suprême ou posthume, et en particulier la plupart de ses compositions instrumentales. Durant sa vie, on imprima surtout de lui des chansons qui nous parvinrent d’abord sous les espèces des « mélodies » célèbres et sentimentales si prisées jadis par nos jeunes grand’mères. Le reste nous arriva peu à peu à travers l’Édition Peters, et se répandit tardivement, alors que nous connaissions déjà, non seulement Beethoven, mais Chopin, Mendelssohn et même un peu Schumann. Entre la symphonie beethovénienne, l’élégante habileté néo-classique et le romantisme harmonique dont il fut l’un des plus merveilleux précurseurs, le doux François Schubert apparut, sinon tout à fait écrasé, pour le moins travesti par un anachronisme et relégué dans le domaine étroit du lied. Bien peu, même aujourd’hui, savent ou se rappellent que Schubert fut contemporain de Beethoven et ne lui survécut que dix-huit mois avant d’aller dormir dans le même cimetière, à deux tombes de distance. La grandiose figure de Beethoven étale comme une ombre autour de soi. Il semble incarner à lui seul une époque à laquelle une autre semble succéder qui fut pourtant connexe. Le subjectivisme du « sourd » Beethoven fausse ici, pour nos yeux, la perspective de l’évolution musicale. Tandis qu’il épuisait les moyens d’expression et les formes « classiques », on les renouvelait à ses côtés. Le torrent de lyrisme harmonique déchaîné par le Chevalier Gluck, endigué par Mozart, se divise en deux branches soudaines, avec Weber (1786-1826) au théâtre, et Schubert dans la musique pure. C’est, du vivant de Beethoven et du même coup, le « romantisme » parallèle de Wagner et de Liszt en puissance. Ces devanciers moururent trop tôt pour que leur génie pût donner toute sa mesure. Leur œuvre n’est pas sans faiblesses, sans déchets quelquefois oiseux. Mais il est pur de tout artifice ou pathos. Nul art ne fut plus spontané, plus savoureux de jeunesse radieuse ou ingénue et n’émana plus directement de la nature. Bon nombre de leurs inspirations devinrent aussitôt « populaires ». Elles retournaient ainsi sans doute à leur source vive, cette fontaine de Jouvence anonyme où doit périodiquement puiser, pour se régénérer, l’art musical. Il semble infiniment probable que ce soit dans la chanson et dans la danse populaires, inaccessibles à la surdité beethovénienne, que Weber et Schubert aient éprouvé l’ambiance harmonique efficiente et les sensations transmuées d’instinct en œuvres d’art où gît la matière sonore exploitée par plus d’un demi-siècle postérieur. La part de Schubert fut la musique pure. C’est là, bien mieux qu’en ses lieder, qu’on découvre le novateur génial, et, si son harmonie y dépasse en hardiesse Weber, au surplus son aîné, il n’a pas moins profondément agi sur l’évolution des formes. Ses Moments musicaux, op.94, et ses Impromptus, op. 142, sont le modèle de la littérature pianistique analogue qui