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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/107

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

coffres-forts ; bientôt, nous détiendrons les hauts emplois. Et quand le suffrage populaire sera aussi libre que le cours du sang dans un corps sain, le Juif se trouvera à la tête, au pinacle de toutes les communautés modernes, car il en est l’intelligence dominante. Maintenant, ne voyez dans cette apologie qu’une riposte au stupide mépris affiché pour les Juifs. Je ne suis pas le champion d’une race. C’est au monde, c’est à l’homme que je m’intéresse.

Clotilde fit observer qu’il avait de nombreux amis, tous hommes éminents, et une masse d’adeptes parmi le peuple.

— Oui, admit-il ; oui : Tresten, Retka, Kehlen le Niçois. Ah ! si je ne m’en tenais pas à la légalité, si l’on en venait aux mains, je pourrais compter sur de bons lieutenants.

— Parlez-moi de votre entrevue avec l’Homme de Fer, fit-elle avec une tendre fierté.

— Cette petite tête ambitieuse veut donc tout savoir ? fit Alvan, en caressant de ses lèvres les boucles d’or. Eh bien, nous nous sommes rencontrés, en effet. C’est lui qui en avait manifesté le désir. Nous convînmes que, pour un moment, nous nous trouvions en terrain neutre. Il pourrait, un jour, se voir contraint de me décapiter ou moi de le bannir, mais rien ne nous empêchait, en attendant, de comparer nos plans de gouvernement. Il me fit voir son jeu ; j’abaissai le mien devant lui : cartes sur table, comme au whist à deux. Il ne mit pas ma sincérité en doute et moi, je l’étonnai en prenant au sérieux tout ce qu’il me disait. Il a eu trop affaire aux diplomates, le vieil Homme de Fer, aux diplomates qui ne croient qu’à la duplicité. Je l’aime pour son amour du sens commun et son